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Ce blog contient mes articles. Mais aussi des commentaires sur mon ouvrage "L’Écriture de Rachid Boudjedra". Ici, je réagis à l'actualité, partage mes idées et mes lectures. Mohammed-Salah ZELICHE

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vendredi 8 février 2008

Pour commander "L'Ecriture de Rachid Boudjedra..."

Commander L'Ecriture de Rachid Boudjedra. Poét(h)ique des deux rives à :
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25€ (frais de port compris)
Contact : mos.zeli2007@gmail.com/
Ils l'ont lu et en parlent :
-Bernard MOURALIS, Prof. émérite (Quatrième de couverture)

-Kasereka KAVWAHIREHI, Prof. Université d'Ottawa ( Revue @nalyses)
-Max VEGA-RITTER, Prof. émérite (DzLit)
-Eleonora HOTINEANU (Revue EUROPE)
Lisez ce qu'ils en pensent sur ce blog


Libellés :

vendredi 18 janvier 2008

Boualem Sansal, Le village de l'Allemand

Le village de l'Allemand

Lire :

  • L'interview accordée au NouvelObs et le débat suscité chez nombre d'Algériens sur le site francophone Le Matin Dz
  • Au sujet de Poste restante : Alger lire l'article de Yassin Temlali "Le serment des censeurs" paru sur le site Babelmed.net

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dimanche 16 décembre 2007

Mohammed Dib






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PROCHAINNEMENT
Une analyse de La Grande maison (1952) de
Mohammed Dib


– Un peu de ce que tu manges !
Omar se planta devant Rachid Berri.
Il n’était pas le seul ; un faisceau de mains tendues s’était formé et chacune quémandait sa part. Rachid détacha un petit bout de pain qu’il déposa dans la paume la plus proche.
– Et moi ! Et moi !
Tels sont les premiers mots du volet un de la trilogie Algérie. Nous sommes en 1939, à Tlemcen, dans la cour d’une école. Des mains se tendent vers un bout de pain. La misère crève le milieu du tableau. Un geste d'enfants faméliques qui en dit long. Laquelle ou lequel, de l’imploration et du harcèlement, le caractérise ? Les deux, à n’en pas douter. Il convient de voir là une attitude ambivalente de l’Algérien à certains de ses moments les moins cléments, voire ses tiraillements et sa relégation dans l’insupportable. Mais il faut voir également le prélude d'un monde dont Dib, tout au long de son récit, va sauver une à une de l’oubli les facettes atroces et tranchantes.

A bientôt pour la suite...
Le 12 déc. 2007
Par
Mohamed-Salah Zeliche

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Assia Djebar

ASSIA DJEBAR. ECRIVAIN ET ACADEMICIENNE







Son dernier roman








  • Assia Djebar. Son passage le 15-12-2007 dans l'émission Thé ou café sur France 2 : voir la vidéo. Suivre le lien...

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vendredi 2 novembre 2007

ESSAI

Essai



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mardi 30 octobre 2007

Fiction et réalité : dépassement et diffamation






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Article rédigé par Mohamed-Salah Zeliche paru sur COME4NEWS le 30 oct. 2007

La littérature comparaît à la barre. Au cœur du sujet : une intention de nuire. Elle est tantôt déboutée tantôt acquittée – à l’égal de sa commère la caricature, fort bien applaudie dans la relaxe de Charlie Hebdo.

Sur son site, Jean-Marie Le Pen communique à la presse l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire qui l’opposait à l’écrivain Mathieu Lindon, son éditeur P.O.L. et Serge July, directeur de Libération à l’époque des faits. Lapidaire et sans état d’âme, le communiqué désigne ces derniers comme d’indéniables diffamateurs – la justice française les ayant déjà désavoués.

L’accent est mis sur le fait que c’est « la réalité et non la fiction » qui a été jugée. Entendre : si le texte incriminé prétend être une fiction, les faits, eux, restent du ressort de la réalité. C’est leur utilisation, autre réalité, que le FN souhaite apporter à la connaissance de l’opinion. Pour ce parti comme pour son président l’arrêt de la CEDH a valeur de démenti des idées qui leur sont opposées. Ils ne sauraient espérer meilleur appui à leurs desseins politiques.

Les faits remontent à 1998. Mathieu Lindon publie un « roman » s’intitulant Le procès de Jean-Marie Le Pen. Y est évoqué la mort à Marseille d’un jeune homme comorien (Ibrahim Ali) entraînée par des colleurs d’affiches du FN. Mais on y est revenu aussi sur l’assassinat, le 1er mai de la même année 1995, du jeune marocain (Brahim Bouaram) jeté dans la Seine par des skinheads lors d’un défilé parisien du parti de Jean-Marie Le Pen. Lequel, dans la foulée de la narration est qualifié de « chef de bande de tueurs », de « vampire » et de menteur.

Serge July, lui, fait paraître une pétition dans Libération, permettant à 97 écrivains de soutenir l’auteur – ce qui n’est pas pour minimiser l’effet des propos incriminés. La justice française y voit là un comportement propre à exhorter à la violence. Et – quand bien même Jean-Marie Le Pen aurait été déjà condamné pour délit d’opinion – la CEDH, saisie à son tour, ne déroge qu’à peine aux jugements des tribunaux de Paris. Trois des quatre passages impliqués sont jugés diffamatoires.

La part de la fiction et de l’imagination est sans doute remarquable dans le livre de Mathieu Lindon. Néanmoins, de faire valoir que son entreprise est fictionnelle ne lui a été d’aucune utilité. Le titre est explicite. La personne à qui il impute les faits est – comme l’énonce l’article 29 de la loi sur la presse – clairement désignée. Par là, le délit de diffamation davantage établi. Ainsi l’auteur a-t-il inversé la donne – en étant aussi intraitable que le FN est ‘’dangereux’’. Il franchit la ligne qui aurait pu assurer à son travail le statut de fiction. Du coup, sous sa plume le texte devient un passage à l’acte ; tout au moins un acte matériel et une pratique réglée. L’éthique alors interpelle le justiciable qu’est l’auteur.

Nous sommes loin de Roland Barthes qui, évoquant L’Etranger, prête de la blancheur à l’écriture de Camus. Laquelle consiste dans un style quasi journalistique au moyen duquel, face à l’Histoire, l’auteur adopte une posture détachée propre à lui éviter les écueils. Loin, certes, également, des Mandarins (1954) où Simone de Beauvoir, grâce à un ‘’puzzle’’ dont elle a changé et interverti les noms des protagonistes, aurait prétendu qu’Albert Camus avait commis un faux témoignage. Mais là aussi les faits ont parlé qui appartenaient à l’Histoire – n’en déplaise à l’auteur qui refusa de l’admettre. Il y a chez tout écrivain une charge affective latente, parfois intense, qui amène à recourir à l’esthétique. Et cette esthétique formante, transformante, excitante… n’arrive à ses fins qu’en recourant à l’indirect.

La littérature n’est pas supportée quand elle accuse sans apporter de preuves. Ni quand elle excite âprement ce qui est intimement profond dans l’être, qu’elle s’empare d’un des versants de l’affect pour lui prêter une coloration diffamante. Ni encore quand, à travers un cas isolé ou individuel, elle impute la faute à tout un groupe, à toute une culture pour les offenser, les provoquer, inciter à les haïr et à les excommunier. En somme, le caractère est pervers d’une telle parole – le locuteur entendant Etre à travers la négation de l’autre.

Notons que si l’intention de nuire est souvent flagrante, elle n’a pas toujours requis le même jugement de la part des tribunaux. L’on en veut pour preuve l’affaire Houelbeq dans son déchaînement contre l’Islam. Mais aussi l’affaire Charlie Hebdo dans ses caricatures, relaxées sous des applaudissements. L’un comme l’autre ont suscité des solidarités fort peu honnêtes. Cela, alors que la défense trouve une échappatoire dans le clivage Islam/intégrisme. Elle oriente les regards vers celui des versants qui n’a de renom que celui de la violence. Ici également la donne est inversée mais au bénéfice de l’offense et de l’incitation à la haine.

Présent dans les situations d’intolérance et de rejets, dans les phénomènes de groupes, dans les questions identitaires..., l’affect procède pour donner raison à la seule mêmeté. Il marque de son empreinte la volonté de soumettre l’autre à une vérité proclamée comme plus loyale. Les écrits tendancieux puisent dans son magma sulfureux quand ils ‘’passent à l’acte’’. Il est la force à l’état brut et primitif et la forme qui entend dominer de toute son étendue. Mais, en réalité, l’art comme la littérature ne sauraient s’accommoder que de son versant positif – celui qui permet de communier avec le monde.

Moralité : dans la conjoncture délicate des luttes politiques, des règles de la démocratie, du respect de l’intégrité de la personne – fût-ce au détriment de nos bouillantes convictions –, il faudrait se garder d’aller au-delà de ce que peut supporter le débat. M.-S. ZELICHE.

Pour citer cet article :

Mohamed-Salah Zeliche, "Fiction et réalité : dépassement et diffamation", http://sentiers-sentiers.blogspot.com/

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mardi 23 octobre 2007

La mémoire, l’émotion, l’enjeu...






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Article rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
paru sur
AgoraVox





Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, s’en prend aux enseignants des lycées qui refusent de lire la lettre de Guy Môquet. Il les qualifie de corporatistes tout en leur reprochant de «prendre en otage un moment d’émotion collective». Cela, précise-t-il, pour des raisons qui n’ont rien à voir «avec le contenu de la lettre ni avec leur devoir de professeur ou leurs scrupules d’historiens». Il y a dans cette posture des reproches qui interpellent par bien des aspects. Le moindre est de s’interroger sur ce que cette lettre représente en dehors de son apport historique et éducatif peu particulier.

L’on notera certes que les propos d’Henri Guaino trouvent matière à s’étonner, à s’indigner, voire à regretter que la fibre nationaliste ne soit pas le pain quotidien des enseignants. Mais en réalité il faut voir là encore l’aveu d’un système posant l’émotion comme un facteur de cohésion nationale. Tant pour endoctriner des étudiants que pour agir sur l’opinion en général, l’émotion comme la mémoire ont constitué de précieux recours aux régimes totalitaires. De quoi en effet évoquer des moments nombreux de l’Histoire où des discours hystériques transformaient les hommes en chair à canon. En tout cas, le pouvoir actuel semble bien avoir besoin de donner un tantinet d’enthousiasme à la France et un tantinet d’humanité à son image. Cette lettre, cette mémoire et cette émotion, tout indique qu’on tente de les détourner.

Les mots qui viennent aussitôt à l’esprit pour qualifier cette posture sont propagande et attitude politicienne. Mais ce sont eux justement que l’on voit prendre place dans les coups de gueule des officiels Henri Gaino et Xavier Darcos. Quelque chose leur échappe et visiblement ils entendent le rétablir. Peut-être est-ce là l’essentiel de leurs rôles. Ils se mettent dans la peau de la nation. Et, comme des mal-aimés, montrent qu’alors même qu’ils sont dignes, leurs efforts sont vus à l’aune des partis pris - et, par là, sabotés. Indignité tout à fait à sa place ! Ainsi peuvent-ils dégager leurs discours de l’individuel et du particulier, lui conférant un ton de légitimité absolue. Or ce n’est là que paravents : ces mots, il convient de les appréhender comme une obstruction aux discours cantonnant déjà la droite au pouvoir dans une position condamnable.

Les propos d’Henri Guaino sont à lire tout à fait à rebours : son ton de colère semble vouloir dire qu’il a trouvé la formule qui lui donne raison sur la rébellion des enseignants et en même temps sur les détracteurs de tous bords. En squattant la nation et en donnant l’air de l’intégrer sans réserve en soi, il vole au secours du pouvoir dont il est la plume, la parole incarnée et la figure idéologique. L’offensive, par médias interposés, de BHL si elle pratique la duplicité (dédouanant et tirant d’affaire Nicolas Sarkozy), a au moins permis de montrer jusqu’où le langage du conseiller spécial à l’Elysée peut être truffé de non-dits, de mépris et de fourberie. Le paradoxe d’un tel homme politique est en effet de prêcher le messianisme sans en être méritant d’aucune sorte.

Il y a là qui interpelle par un côté méphistophélique. L’on fait semblant. L’on se montre triste et même très peiné. L’on joue avec les mots en leur faisant dire tout et n’importe quoi. H. Guaino s’interroge sur « ce que doivent être [...] l’éthique et les devoirs d’un professeur dont la nation a payé les études, dont la nation paye les salaires et auxquels la nation confie ses enfants ». Les enseignants... ces traîtres à la nation... ces monstres ! Les mots sont, on le constate ici, d’un autre temps, voire d’une dureté qu’il serait difficile de ne pas associer à la langue d’un caudillo. C’est la langue de bois par ailleurs dans tous ses états et ses désordres, elle se pare de respect et de dignité, mais pour laisser tout le champ à l’arrogance. La France ainsi a franchement des allures de République bananière. Derrière le mot nation, et l’égard de façade, que de servitudes se profilent et que de libertés on entend prohiber ! Henri Guaino use d’un langage paternaliste, en outre culpabilisant, qui vise sévèrement à faire rougir de honte. Les enseignants, pense-t-il d’ailleurs, doivent beaucoup à cette nation ! Lui, il le comprend fort bien : il n’est pas n’importe lequel des Français et son amour pour la France ne souffre d’aucun défaut... Or, voilà... il y a malentendu ! Et il faut bien s’entendre sur le sens que l’on doit prêter aux mots.

La nation manière Henri Guaino ? Les professeurs ne se reconnaissent pas en elle. Et pour cause, elle n’inspire guère confiance. Elle a des tas de choses à se reprocher et comme telle paraît rattrapée par un sentiment de faute. Elle pratique le détournement de la mémoire tant elle est moralement en faillite et qu’elle a besoin de se refaire la face. La vraie nation, elle, est au-dessus des petitesses, ne monnayant rien pour être respectée. Elle est capable de faire sereinement son autocritique. Elle ne s’embarrasse nullement devant les questions humanitaires parce qu’elle en fait sa priorité et son souci permanent.

L’on se demanderait à juste titre d’où est venu l’intérêt de Nicolas Sarkozy ou de Henri Guaino pour un jeune Résistant, par ailleurs communiste, fusillé par les nazis en 1941. L’on se demanderait s’il pouvait exister un lien - si secret et si infime soit-il - qui rapprocherait Guy Môquet d’une UMP s’enfonçant dans les contrées de l’intolérance et de l’intolérable. Mais l’on se demanderait encore plus comment, après un discours comme celui de Dakar, on peut trouver des affinités avec Guy Môquet. N’est-ce pas passer d’un pôle à son opposé ? N’est-ce pas faire semblant ? N’est-ce pas manquer de repères ? Lire la lettre de Guy Môquet aux lycéens, pourquoi pas ? En faire un devoir et lui donner un caractère solennel est une ingérence et un geste liberticide. Cela est une autre histoire et l’éducateur digne de ce nom doit refuser de l’enseigner. Honnêtement, cela équivaut, de par « l’émotion » dont la lettre est censée porter, à dédouaner la seule UMP, à lui faire une virginité.

Laide est sans conteste l’image aujourd’hui du pouvoir en place qui a besoin de liftings. Car, sinon, pourquoi aller chercher des valeurs humaines sur des contrées plutôt communistes. L’esprit d’ouverture du chef de l’Etat ? Surtout pas ! En vérité, l’enjeu est, d’une part, de ratisser large et, de l’autre, de minimiser le chaos dans lequel la politique sarkozyste n’a de cesse d’engouffrer son monde. Tout en prônant un discours de non-repentance, soi-disant pour ne pas s’interdire « d’être fiers » de la France, Nicolas Sarkozy, certes en homme « déculpabilisé », engage son pays dans la voie du chauvinisme, sans un rien de bonne apparence. Quand ce discours ose prôner la haine de la repentance, non seulement il fait table rase du passé colonial et de la critique de ce passé, mais il fait table rase du passé vichyste antisémite et interdit la mémoire. Cet écart, certains ne lui tiendront pas rigueur de le provoquer. Il est le fait toujours est-il des incohérences que lui aura fait accomplir son opportunisme. Chasser sur les terres du FN mène forcément à l’absurde.

Bref, ce serait contrevenir à l’esprit même de la lettre de Guy Môquet que de s’inscrire dans les perspectives inhumaines de l’actuelle UMP. Les professeurs - refusant d’avoir d’autres yeux que les leurs pour voir - ont tout simplement fait acte de maturité et d’indépendance. Autant laisser en effet les lycéens et leur candeur en dehors des calculs machiavéliques. Le devoir d’un éducateur est très certainement de dispenser un enseignement qui permette aux apprenants de déjouer les impostures de quelque sorte qu’elles soient. Le refus des enseignants d’assigner un piètre rôle à cette lettre est bien le signe finalement d’une conscience demeurée intacte.

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mercredi 3 octobre 2007

Cette guerre qu’on aime tant faire...

Article rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
Paru sur AgoraVox le 03 oct. 2007

« Vous avez dit "guerre", monsieur Kouchner, vous n’avez pas tort... »1. Tel est le titre d’un article paru le 24/09/07 dans la rubrique "Opinion’" du Figaro version électronique. A. Glucksman qui en est l’auteur s’étonne qu’un mot du chef de la diplomatie française suffise pour que « les encriers se mettent en ébullition » et que des chancelleries d’Europe occidentale s’appliquent à publier « leur désapprobation d’une façon fort peu diplomatique ». Il compte par là dédouaner le french doctor. Or, pour y arriver, il doit rappeler au monde l’exceptionnelle clairvoyance de celui-ci. Bref, démontrer - fût-ce au prix d’une grille déformante - que cette guerre est à faire.

A le lire donc, on n’avait qu’à prendre au sérieux « la crainte » de Bernard Kouchner - d’autant plus qu’elle découle d’une opinion longuement échafaudée sur la guerre. Crainte qui, soit dit en passant, est aussi la sienne propre. Tout comme celui-ci d’ailleurs, il cite les propos de Nicolas Sarkozy qui, neuf mois avant son accession à la présidence, lui confie, alors qu’il l’interviewe, dans quelle mesure la crise iranienne était « la crise internationale la plus grave actuellement ». Cela, dit-il - comme pour les prendre à témoin -, en présence de Yasmina Reza et de Pascal Bruckner. Il faut dire qu’à cette époque le futur locataire de l’Elysée comblait tous les fantasmes, de paix comme de guerre : l’essentiel étant qu’il donne corps lui-même à ses fantasmes électoraux. Tant et si bien qu’aujourd’hui certaines de ses opinions confinent à des promesses qu’il lui faudra ignorer ou honorer.

Glucksmann, tout en voulant croire encore que Nicolas Sarkozy n’a pas changé d’avis, rappelle que celui-ci avait lui-même prôné la « fermeté » devant les ambassadeurs de France réunis au mois d’août dernier à l’Elysée. En fait, il donne plutôt tout l’air de remarquer le "tort’" de Nicolas Sarkozy qui a désavoué si vite le catastrophisme de son ministre aux Affaires étrangères et qui est revenu sur ce qui aurait tenu lieu de promesse. C’est finalement attendre aujourd’hui du chef de l’Etat un appui indéfectible et compter sans les soins méticuleux qu’il apporte à son image.

Les déclarations de B. Kouchner ne sauraient que désavantager N. Sarkozy, devant l’opinion française et devant l’opinion mondiale. Le fait est que la question atteint tout à coup des proportions effrayantes alors qu’il n’est qu’au début de son mandat. Plutôt que de se laisser embarquer comme malgré lui, il se démarque de son ministre - toutefois sur la forme, non sur le fond. Un peu moins d’empressement et un peu plus de tact auraient mieux valu que l’alarme stridente qui a fait sursauter tout le monde. En tout cas, en empêchant de parler de guerre et en insistant de ne parler que de dialogue, N. Sarkozy inflige déjà à certains de ses amis ce qui s’apparente à un sérieux revers.

Y a-t-il vraiment lieu de se prévaloir de cette « fermeté » ? Glucksmann pense que oui : le moment est fort bien « calculé » et B. Kouchner n’avait qu’à jeter son « pavé dans la mare des non-dits ». A croire que le « nouveau philosophe » pense être le seul à pouvoir parler et comprendre un langage dénué « d’hypocrisie », d’avoir seul le courage d’appeler un chat un chat. Certaines expressions de nos jours, on en conviendrait, comme celle-ci, ont retrouvé une jeunesse expansive : grâce à elles, des plumes se joignent aux voix de certains politiques qui espèrent tronquer la bonne conscience de ses scrupules les plus justifiés. Les linguistes, les chercheurs en analyse du discours et en sociocritique en savent un peu plus sur ces arbres qui entendent couvrir la forêt. En tant qu’ « avant-garde » et bichonnés des médias, côté nouveaux philosophes, l’on est toujours frais et dispos pour venir décréter ce qui est sensé et ce qui ne l’est pas - comme, ailleurs, d’autres déclament leurs fatwas.

L’Iran se dote de sa bombe, il se prépare donc à faire la guerre au monde, à ses voisins tous confondus... Qui le voit ? Qui peut en parler ? Les éclairés le peuvent. C’est dans des termes d’ailleurs allégoriques et prétendument illuminés que Kouchner et sa logique guerrière nous sont présentés : « Lorsque le sage désigne la Lune, les imbéciles contemplent son doigt ». Retrouvons ici la formule nietzschéenne qui fustige l’idéalisme, reprise par Glucksmann page 229 dans son ouvrage Le Bien et le Mal : « voici ce que j’appelle l’idéalisme : apercevoir un lever de Soleil chaque fois qu’on allume une chandelle ». Les « imbéciles » sont, peut-on facilement traduire, la majorité dominante, la foule sourcilleuse, idéaliste, mais ignare et aveugle. Les éclairés, eux : les philosophes nouveaux, la minorité va-t-en-guerre et nullement hypocrite. Eclairés en effet mais, a-t-on envie de remarquer, par les seuls projecteurs que l’on braque sur eux.

Le danger est réel. La guerre inévitable. A. Glucksmann en est certain, qui en sait autant que Kouchner. Les experts l’affirment sans ambages. Encore « deux ou quatre ans » et l’Iran aura sa bombe : il y a « péril en la demeure ». Pourtant des calculs irréfutables et du réalisme dont il se targue, l’on ne retient qu’une vue approximative à la limite de la paranoïa, du doute et du spéculatif. L’on ne saisit dans ses "homélies’", pour éclairées qu’elles prétendent être, que les intérêts si évidents auxquels il est inféodé.

Son intention, tente-t-il de faire croire, n’est que d’éviter que l’Iran atteigne « le point de non-retour ». L’évidence, c’est cela... Il n’y a là rien de pervers. Pourquoi empêcher ce pays de se doter d’une telle bombe ? Mais parce que ceux de cette région du monde se tuent pour un oui et pour un non, ils stagnent encore dans un Moyen Âge du type européen. L’inquisition ! Parce que, d’autre part, il faut en finir avec cet idéalisme sot et naïf qui n’a pas empêché Hitler d’être Hitler ni le Goulag de sévir. En somme, Gilles Deleuze n’a pas tort qui, dans un texte écrit le 5 juin 1977, soutient : « ils [les nouveaux philosophes] vivent de cadavres. Ils ont découvert la fonction-témoin [...]. [Il] n’y aurait jamais eu de victimes si celles-ci avaient pensé comme eux, ou parlé comme eux » 2. Et de fait, ils mettent dans les moules hitlérien et stalinien tous ceux que leurs terribles préconçus leur désignent.

Force est de constater qu’ils investissent dans des stéréotypes, voire dans des concepts creux remplis ou grisés par leur intolérance. Il n’a tenu qu’à un fil que Glucksman ne lance à la face du monde : quiconque n’est pas issu de l’UE doit être renvoyé au Moyen Âge et, de ce fait, n’a droit qu’à des claques. Là en effet quelque chose grince que la pensée digne de ce nom ne saurait concevoir. On lui demanderait pourquoi alors priver l’Iran de son droit de sortir de son Moyen Âge, il répondrait : « c’est évident : il est capable de fabriquer la bombe atomique ». C’est dire à quel point le paradoxal, le racisme et le sectarisme peuvent faire bon ménage.

En Irak, « les Américains sont désemparés » : ils « affrontent un adversaire capable de tuer les siens à l’infini ». L’idée de Glucksmann est ainsi d’annoncer que le génie de certains ne tient que dans leur capacité à provoquer le chaos général. Lequel chaos est plus puissant que les hélicos et les tanks. Force d’un côté et monstruosité de l’autre : voilà qui est assez pour autoriser une guerre... contre l’Iran. Son raisonnement, à cet endroit précis, comme on peut le constater, exécute un saut, une pirouette, si l’on veut : il se connecte à n’importe quoi, pourvu que le ton garde sa gravité. La méthode, pour aller aux déductions escomptées, consiste à plaquer une séquence de l’histoire, un personnage de l’histoire, etc., sur un événement hypothétique. Du réel (ou ce qu’on veut faire passer pour du réel) appliqué sur de l’hypothétique, le tout noyé dans une parole délirante et sans vergogne, rend totale la confusion. Glucksmann, sitôt ses griefs contre l’Irak rassemblés au complet, part à l’assaut de l’Iran. Ne serait-ce que parce qu’il est susceptible de ressembler à l’Irak, l’Iran est sommé d’abandonner sa bombe ou, sinon, de préparer sa tombe. Les mollahs jusqu’aux plus modérés sont, selon lui, incapables de s’émouvoir. Ils sont à même d’immoler 15 millions des leurs « pour la gloire théologique [d’éradiquer] l’entité sioniste ».

Cette conclusion, fondée certes sur une crainte, mais surtout sur un cortège de préconçus, si elle augure le chaos, accorde aux envahisseurs, les alliés en l’occurrence, l’envergure de bienfaiteurs. La victime ? Tiens donc ! Elle n’a que ce qu’elle mérite. Sa résistance est folie et pur fanatisme.

Vous avez dit "guerre’", vous aussi M. Glucksmann, et aucune guerre n’est bonne à faire...

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  1. André Glucksmann, <>, lefigaro.fr
  2. Gilles Deleuze, <>, 1libertaire.free.fr

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vendredi 21 septembre 2007

Quand l’envie va au-devant des faits




Par Mohamed-Salah Zeliche
Paru sur AgoraVox
Le 21 Sept. 2007




L’appel dimanche dernier du chef de la diplomatie française à « se préparer au pire », par lequel il entend attirer l’attention sur le danger du programme iranien d’enrichissement d’uranium, a, dans la foulée, irrité certains et étonné d’autres.

Le dossier du nucléaire iranien se corse. Il donne déjà l’apparence d’un abcès qui tarde à crever. L’on en parle depuis un bon bout de temps. Après le mièvre Dr Douste-Blazy, c’est maintenant au dur Dr Kouchner de s’en occuper. Mais, brutale, l’intervention de ce dernier heurte plus d’un et à plus d’un titre. Tant en France que dans le monde ses propos suscitent de violents remous. En effet, appeler le monde à « se préparer au pire » a tout l’air de tenir d’une intention de guerre. Ce sont pourtant les mots de François Fillon, venant appuyer son ministre aux Affaires étrangères qui ont laissé supposer que la question achève de prendre une tournure dangereuse. Il y a tout lieu de croire que l’on tente cette fois-ci de déterrer pour de bon la hache de guerre. Car, sinon, pourquoi Fillon tient-il tant à « éviter la guerre » ? Si la guerre est loin, quelle est l’importance d‘insister de toute urgence sur l’épuisement de « tous les moyens diplomatiques » ? Autant d’interrogations qui augurent la guerre dans les perspectives françaises les plus actuelles : il y a fort à parier en tout cas que les envies du Dr Kouchner devancent bel et bien ses actes.

L’appel donc de Paris à « se préparer au pire » est aussitôt suivi de la réaction iranienne qui – par médias indignés – accuse le président français de se ranger du côté étasunien – c’est-à-dire et, selon Téhéran, du côté de la guerre. A travers Kouchner c’est la position de N. Sarkozy qui vient occuper le devant de la scène, lequel la République islamique croit reconnaître en lui un va-t-en-guerre. Des termes fortement connotés le dépeignent en tant que celui qui «imite les hurlements américains ». On en convient : il y a là plus qu’une allusion à son prédécesseur Jacques Chirac et son pacifisme durant la guerre d’Irak. Il y a là surtout, dans la vision iranienne, ce qui entend dénoncer l’absence d’une logique de paix dans la politique française d’aujourd’hui.

Le dossier du nucléaire iranien se révèle de loin plus délicat que ne l’a été celui de l’Irak. Tout en faisant craindre « le pire » à la communauté internationale, il laisse sceptique quant aux charges jusque-là retenues et quant à la réalité de la dangerosité, fût-il ce pays rebelle aux recommandations de l’AIEA et à la politique onusienne – politique en réalité de deux poids deux mesures. Tout le monde sait qu’Israël possède la redoutable bombe, mais que pour autant il n’est nullement inquiété. La diplomatie française loin de prêter d’importance à cet état de choses redouble d’imprécations à l’adresse de l’Etat islamique, appelle la communauté internationale à le mettre à genou. Rien n’y fait, du moins à ce stade de l’évolution des choses : les anathèmes de B. Kouchner semblent en deçà de réunir grand monde. Quelque chose tranche dans l’ensemble qui n’est pas clair. La ministre autrichienne des affaires étrangères tance son homologue français, trouvant incompréhensible sa « rhétorique martiale ». Certes B. Kouchner n’a pas que des contradicteurs et son homologue néerlandais, Maxime Verhagen, lors de sa récente visite à Paris, dit être d’accord avec lui pour réclamer de l’union européenne des sanctions même sans l’aval de l’ONU. Il n’empêche que l’âpreté du ton, la façon dont ils semblent vouloir bâcler le dossier, la pression qu’ils entendent l’un et l’autre faire subir à Téhéran, passent outre les examens en cours de l’AIEA , retire surtout toute crédibilité à l’institution onusienne. D’où l’impression très forte d’une démarche quasi solitaire.

Cette attitude loin d’être très diplomatique, vite remarquée par l’opinion, oblige B. Kouchner, aux dernières nouvelles, (non à revoir sa copie) à mettre un peu d’eau dans son vin. De là, l’apparence d’un retour à la raison : selon une information de l’agence Reuters, rapportée le 19/09/07 par Le Monde, il se dit prêt à « laisser le temps nécessaire » à l’AIEA, à se rendre, lui, à Téhéran, à « ne pas renoncer au dialogue ». Que de bonnes volontés ! Non sans laisser voir de l’exaspération, il juge pourtant que « […] ces discussions [diplomatiques] ne peuvent pas durer des années » ; il en appelle au président de la République qui s’est lui-même exprimé en ces termes : « sortir de cette terrible alternative, la bombe iranienne ou bombarder l’Iran ». Il n’y a pas trente six mille solutions… Accorder du temps à l’Iran selon le locataire du Quai d’Orsay c’est tout bonnement faire preuve « d’hypocrisie ». Le fait est qu’il s’est mis en situation de procès et qu’il lui faudra remettre de l’ordre dans ses déclarations précédentes – chose qui prend déjà chez lui l’aspect d’une habitude. Il doit, par exemple, s’expliquer au sujet de son alignement (terme qu’il rejette !) sur la politique américaine, qui, de toute façon, est révélateur des nouveaux rapports de la France avec le Proche et Moyen-Orient.

Dans de telles conditions, et dans la mesure où Israël est activement défendu, la Syrie comme l’Iran ne peuvent qu’être bombardés un jour ou l’autre. Il suffit qu’ils reprennent du poil de la bête pour qu’on cherche à les plier. Ils sont dans le collimateur des alliés qui, d’ailleurs, orchestrent toutes sortes de plans pour saper leur sang-froid. Aujourd’hui les dirigeants iraniens, comme hier sous Saddam les dirigeants irakiens, à plus forte raison sous la pression cynique des sanctions occidentales, n’ont de cesse de rappeler haut et fort le supplice des Palestiniens – voire de se présenter comme leurs sauveurs. L’on se souvient des récents propos tenus par Mahmoud Ahmadinejad, loin de plaire aux inconditionnels de l’Etat hébreu, Kouchner compris. La colère vite déchaînée, souvent scandée de déclarations antisémites/antiaméricaines, en est l’exemple le plus éloquent. Au train où va le matraquage médiatique, l’image du dirigeant iranien, et jusqu’à celle du simple citoyen, prend spontanément des allures « hitlériennes » qui laissent « craindre le pire » et en effet sabotent les perspectives de paix. En un mot, l’Iran n’a pas droit à l’erreur d’une démonstration de force à la Saddam : dans sa puissance prétendue, il y a déjà qui correspond parfaitement aux attentes de ses belligérants : ceux-ci trouvent là prétexte à leur alarmisme.

Franchement, qui aujourd’hui tourne le dos à la paix ? J’ai envie de dire : tout le monde.

Pour citer cet article :

Mohamed-Salah Zeliche, <>,
http://www.sentiers-sentiers.blogspot.com/

Ou

Mohamed-Salah Zeliche, <>,
http://www.AgoraVox.fr/article.php3?id_article=29346

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jeudi 13 septembre 2007

De l'écart auteur/narrateur dans l'Etranger d'Albert Camus

Article rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
Paru sur AgoraVox
Le 13 septembre 2007

Ceci est la version courte du texte intitulé "De l'écart auteur/narrateur dans L'Etranger d'Albert Camus". Une autre portant le même titre, plus longue et plus circonstanciée est disponible sur ce même site.


Parler aujourd’hui de L’Etranger semblerait désuet. Il n’en est rien : Camus suscite toujours un immense intérêt. Colloques et travaux universitaires, partout dans le monde, n’ont de cesse de le célébrer. Et l’homme et l’œuvre en effet ont été au cœur des tensions, sans doute les plus bouleversantes que l’histoire ait jamais eu à enregistrer. De là, en tout cas, mon intérêt pour l’écrivain et ma relecture de son texte.


Si l’on se réfère à Mikhaïl Bakhtine, ni les personnages ni leurs logiques ne doivent faire office de porte-parole, encore moins se substituer à l’instance créatrice. Car ils appartiennent au système narratif et, comme tels, censés s’associer aux réseaux descriptifs, aux strates qui composent le texte, à toutes sortes d’ingrédients. Leurs actions, pour antagoniques qu’elles soient, caressent une même perspective qui n’est que de tendre vers une signifiance générale. Or face à certaines œuvres, au nombre desquelles figure L’Etranger d’Albert Camus, cette conception est souvent abandonnée par la critique. De multiples raisons entrent en ligne de compte, dont nous rappellerons brièvement quelques-unes ci-après.


D’apparence simple et limpide, ce récit développe deux dialectiques contradictoires. D’une part, il donne l’air de pratiquer l’art de l’esquive, de prôner l’inadmissible à travers un narrateur apathique, soupçonneux, menant une vie dénuée de toute ambition, replié sur lui-même, peu enclin au partage et incapable de communier avec le monde. D’autre part - sur un plan plutôt auctoral -, il affiche une propension évidente à aller vers une parole sans fards ni préétablis. La vanité, l’excès d’autorité, les valeurs archaïques bourgeoises et religieuses se heurtent ici à une écriture qui les dénonce dans sa dérision. Autant de tendances significatives de gêne, de non-dits, de motivations obscures. Ainsi conçu de façon problématique tant par ce qu’il dit que par ce qu’il ne dit pas, le texte acquiesce et prête le flanc aux démonstrations subjectives. A tel point que certains croient reconnaître en Meursault le double parfait de Camus, mettent sur le compte de celui-ci un crime commis par un être de papier.


A partir de là, le sens de l’histoire racontée s’éloigne de sa vocation originale. Sens qui en premier lieu réside dans une pluralité de perspectives et entend répondre à une tension située en amont du projet d’écriture. L’objectif visé : montrer comment un ordre pétri de désinvolture peut déshumaniser et faire se replier dans la haine de soi et de l’autre. La période qui a donné naissance au récit, l’a inspiré à l’auteur, est saturée de signes. Les enjeux de la critique et ses nombreux préconçus, fréquemment mis en avant, estompent l’écart pris par Camus vis-à-vis de l’être colonial. L’on s’attarde ainsi si peu ou pas du tout sur les facteurs qui acculent à la désespérance ; l’on rend inenvisageables le programme comme les objectifs du récit. Cela, alors que cet écart est axial et doit être retenu particulièrement : l’analyse textuelle confirme sa réalité et le montre dans sa forme pluridimensionnelle. Il est de nature aussi bien technique qu’esthétique, psychologique, morale, idéologique, stratégique, voire caractéristique de la vocation libertaire de l’art.


A ce propos, et pour ne retenir que celle-ci, la vocation de l’art est de toujours s’affranchir de la société qui lui octroie ses moyens et ses prétextes. L’art peut même se défaire de la tutelle du créateur. Aussi étonnant que cela paraîtrait, celui-ci n’est en réalité que ce point de friction commun à la société et à cette tension que l’on dit originelle. Soit le lieu précis de l’éclat, de la déchirure, du fracas, de la douleur et en effet de la conscience. Non seulement l’auteur règle ses comptes avec la société mais, souvent et à son insu propre, avec lui-même - l’individuel et le collectif n’étant pas sans se refléter. Seuls donc triomphent le temps condensé et l’histoire : l’art nous exprime à travers les conflits qui nous opposent au monde et à nous-mêmes, à travers nos contrariétés, nos confusions, notre impuissance. Son authenticité, et peut-être aussi sa vérité, résident en cela : son indépendance. Il est dans cet écart que prend l’auteur vis-à-vis de sa société, échappant à l’un comme à l’autre mais non sans puiser préalablement dans leurs mésententes l’exigence d’une éthique ou les perspectives d’un compromis.


Quel autre sens donner à cet écart de Camus ? Il n’est pas seulement un recul vis-à-vis de soi ni seulement ce qui témoigne du peu de crédit accordé à l’institution coloniale. Sa réalité réside dans des espérances contrecarrées, consiste dans un souci d’esthétique et de message à faire passer sans avoir à courir aucun risque. Le fait de devoir se justifier un jour ou l’autre, la crainte possible d’être qualifié de renégat, crainte qu’on retrouve chez nombre d’écrivains, rendent difficile l’entreprise d’exprimer ses reproches avec franchise et netteté. Les silences et les non-dits représentent autant de pièces vacantes dans le puzzle de Camus que d’interdits à déjouer. La concision de L’Etranger lui prête d’ailleurs l’aspect d’une parole pressée de conclure, d’un essai préoccupé de mener à bon port la bonne parole. Se frayer un passage : voilà en fait un projet qui aura coûté à l’écriture camusienne bien des détours. Parce que ce récit est concis et condensé, il faudrait pour cerner toutes ses dynamiques se garder de s’en remettre aux commentaires univoques, en soi sélectifs, amputés et arbitraires ; ceux-ci focalisent les regards sur les traits déjà suffisamment grossis par l’œuvre. Or seule une démarche qui réunit l’ensemble des dimensions - historique, psychologique, psychanalytique, philosophique, sociale, culturelle, artistique, symbolique, politique - peut convaincre L’Etranger de laisser traduire les silences de son dire.


Cet écart n’exclut en rien que Camus puisse apparaître à travers quelques traits de ses personnages. Son paradoxe personnel, ses amitiés, ses inimitiés, ses peines, en réalité il nous les livre comme à son insu. Ce sont là des interférences qui par ailleurs sont de nature pragmatique et stratégique : elles visent essentiellement à agir sur le lecteur, à conférer au récit une vraisemblance et une lisibilité bien particulières. En donnant l’illusion que Meursault peut être son double, Camus de fait accentue la réalité des faits narrés - il leur arroge plus de crédibilité, les rend dignes d’intérêt. Le journal tenu par Meursault, qui n’est autre que le roman lui-même, représente quant à lui un des procédés narratifs donnant l’illusion que l’auteur s’investit dans son personnage. Et, en effet, à travers Meursault, figure de pied-noir fonctionnaire, comme Camus le fut lui-même, s’établissent de multiples connexions. Leurs reflets et ce qu’ils suggèrent de réalité amènent le lecteur à adhérer au programme de l’auteur. Auteur et lecteur, ensemble, partent ainsi à la reconquête d’un sens du monde posé d’emblée comme chancelant. Deux perspectives donc de l’auteur : frapper l’esprit du lecteur, l’inviter ensuite à conclure à l’absurdité des lois qui régissent le monde.


L’écart entre l’auteur et le narrateur tout comme leurs similitudes sont donc palpables. Mais que l’un et l’autre puissent sur quelques plans se renvoyer la même image ne doit pas accorder d’autonomie au second. Les actions de celui-ci n’ont d’importance que par rapport aux liens (de convergence ou de divergence) qu’elles tissent avec les actions des autres personnages. C’est dans ce qu’elles apportent au sens général et dans ce qu’elles provoquent d’interrogations morales qu’il convient de les saisir. Si entre les deux instances, la frontière ne manque pas d’être fluctuante c’est du fait que le récit, outre le souci technique de vraisemblance, rapporte une réalité historique tout aussi âpre que celle où l’auteur lui-même se mire et s’implique. L’on reconnaît ici le malaise bouleversant d’un personnage amené (par les circonstances imaginées par l’auteur) à perdre toute confiance en l’homme - au point d’accomplir un geste monstrueux. A travers lui se profile certes l’auteur, toutefois il s’agit d’un auteur désarçonné par la conscience d’un impossible compromis, par ce que la réalité vécue laisse présager de colères corrosives à venir.


Tout compte fait, la question posée, de par sa polyvalence et sa complexité, de par les nuances qu’elle permet de déceler et les contours qu’elle recommande de ménager au récit, n’indique pas de tenir Camus pour un fac-similé du personnage. Ni d’ailleurs de se cantonner dans l’idée d’un meurtre comme visée unique de L’Etranger. En effet, fût-ce par défaut, fût-ce parfois à l’insu de son auteur, celui-ci amène à regretter l’absence d’une notion essentielle : la justice.


Pour citer cet article :

Mohamed-Salah Zeliche, « De l’écart auteur/narrateur dans L’Etranger d’Albert Camus », http://sentiers-sentiers.blogspot.com/

Ou :

http://www.agoavox.fr/article.php3?id_article=28800/


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La dimension auctoriale dans L'Etranger d'Albert Camus


Article rédigé par

Mohammed-Salah Zeliche

Parler aujourd’hui de L’Etranger semblerait désuet. Il n’en est rien : Camus suscite toujours un immense intérêt. Colloques et travaux universitaires, partout dans le monde, n’ont de cesse de le célébrer. Et l’homme et l’œuvre en effet ont été au cœur des tensions, sans doute les plus bouleversantes que l’histoire ait jamais eu à enregistrer. De là, en tout cas, mon intérêt pour l’écrivain et ma relecture de son texte.

Si l’on se réfère à Mikhaïl Bakhtine[1], ni les personnages ni leurs logiques ne doivent faire office de porte-parole, encore moins se substituer à l’instance créatrice. Car ils appartiennent au système narratif et, comme tels, sensés s’associer aux réseaux descriptifs, aux strates qui composent le texte, à toutes sortes d’ingrédients. Leurs actions, pour antagoniques qu’elles soient, caressent une même perspective qui n’est que de tendre vers une signifiance générale. Or face à certaines œuvres, au nombre desquelles figure L’Etranger d’Albert Camus, cette conception est souvent abandonnée par la critique. De multiples raisons entre en ligne de compte, dont nous rappellerons brièvement quelques-unes ci-après.


D’apparence simple et limpide, ce récit développe deux dialectiques contradictoires. D’une part, il donne l’air de pratiquer l’art de l’esquive, de prôner l’inadmissible à travers un narrateur apathique, soupçonneux, menant une vie dénuée de toute ambition, replié sur lui-même, peu enclin au partage et incapable de communier avec le monde. D’autre part – sur un plan plutôt auctoral –, il affiche une propension évidente à aller vers une parole sans fards ni préétablis. La vanité, l’excès d’autorité, les valeurs archaïques bourgeoises et religieuses se heurtent ici à une écriture qui les dénonce de sa dérision. Autant de tendances significatives de gêne, de non-dits, de motivations obscures. Ainsi conçu de façon problématique tant par ce qu’il dit que par ce qu’il ne dit pas, le texte acquiesce et prête le flanc aux démonstrations subjectives. A tel point que certains croient reconnaître en Meursault le double parfait de Camus, mettent sur le compte de celui-ci un crime commis par un être de papier.


A partir de là, le sens de l’histoire racontée s’écarte de sa vocation originale. Sens qui, en premier lieu, réside dans une pluralité de perspectives et entend répondre à une tension située en amont du projet d’écriture. L’objectif visé : montrer comment un ordre pétri de désinvolture peut déshumaniser et faire se replier dans la haine de soi et de l’Autre. La période qui a donné naissance au récit, l’a inspiré à l’auteur, est saturée de signes que les regards forcément appréhendent différemment. Les enjeux de la critique et ses nombreux préconçus, fréquemment mis en avant, estompent l’écart pris par Camus vis-à-vis de l’être colonial. L’on s’attarde ainsi si peu ou pas du tout sur les facteurs qui acculent à la désespérance ; l’on rend inenvisageables le programme comme les objectifs du récit. Cela alors que et écart est intéressant à étudier : l’analyse textuelle confirme sa réalité et le montre dans sa forme pluridimensionnelle. Il est aussi bien de nature technique qu’esthétique, psychologique, morale, idéologique, stratégique ou caractéristique de la dimension libertaire de l’art.


A ce propos, et pour ne retenir que celle-ci, la faculté de l’art est de s’affranchir toujours de la société qui lui octroie ses moyens et ses prétextes. Il peut même se défaire de la tutelle du créateur. Aussi étonnant que cela paraîtrait, celui-ci n’est en réalité que ce point de friction commun à la société et à la tension dite originelle. Soit le lieu précis de l’éclat, de la déchirure, du fracas, de la douleur et en effet de la conscience. Non seulement l’auteur règle ses comptes avec la société mais, souvent et à son insu propre, avec lui-même – l’individuel et le collectif n’étant pas sans se refléter. Seuls en donc triomphent le temps condensé et l’histoire : l’art nous exprime à travers nos conflits avec le monde et nous-mêmes, nos contrariétés, nos confusions, notre impuissance. Son authenticité, et peut-être aussi sa vérité, résident en cela : son indépendance. Il est dans cet écart que prend l’auteur vis-à-vis de sa société, échappant à l’un comme à l’autre mais non sans puiser préalablement dans leurs mésententes l’exigence d’une éthique ou les perspectives d’un compromis.


Quel autre sens donner à cet écart est ? Il n’est pas seulement un recul vis-à-vis de soi ni seulement ce qui témoigne du peu de crédit accordé à l’institution coloniale. Sa réalité réside dans des espérances contrecarrées, consiste aussi dans un souci d’esthétique et de message à faire passer sans avoir à courir aucun risque. Le fait de devoir se justifier un jour ou l’autre, la crainte possible d’être qualifié de renégat, crainte qu’on retrouve chez nombre d’écrivains, rendent difficile l’entreprise d’exprimer ses reproches avec franchise et netteté. Les silences et les non-dits représentent autant de pièces vacantes dans le puzzle que d’interdits à déjouer. La concision de L’Etranger lui prête l’aspect d’une parole pressée de conclure, d’un essai soucieux de mener à bon port la bonne parole. Se frayer un passage : voilà en fait une décision qui aura coûté à l’écriture camusienne bien des détours. Parce que ce récit est concis et condensé, il faudrait pour cerner toutes ses dynamiques se garder de s’en remettre aux commentaires univoques, en soi sélectifs, amputés et arbitraires ; ceux-ci focalisent les regards sur les traits déjà suffisamment grossis par l’œuvre. Or seule une démarche qui réunit l’ensemble des dimensions – historique, psychologique, psychanalytique, philosophique, sociale, culturelle, artistique, symbolique, politique – peut convaincre L’Etranger de laisser traduire les silences de son dire.


Le sentiment de la faute
Démontrer l’existence de l’écart auteur/narrateur équivaut tant à délimiter les sphères dévolues à chacun d’eux qu’à repérer les endroits de leurs articulations. Le mieux, à cet effet, serait de partir d’un trait psychologique ayant pour fondements la société ou la famille. Tel, en effet, est ce qui apparaît dès l’instant où l’on brosse le portrait de Meursault : il est toujours sur le qui-vive et toujours prêt à se justifier. Ses gestes fussent-ils les plus anodins, il les tient pour répréhensibles. Il ne s’autorise nulle dérive ni extravagance ; en revanche, il est sujet à d’intraitables auto-reproches. Ainsi, quand son patron l’a fait appeler – pour une promotion –, a-t-il été inquiété sur le moment. Il a pensé qu’il allait lui dire de moins téléphoner et de mieux travailler[2]. Il pare ainsi à l’éventualité d’être pris en faute, laissant soupçonner qu’il est sous l’emprise d’une peur ou d’un sentiment de culpabilité.


Aussitôt, la question se pose de savoir si Camus partagerait ce trait avec son personnage. Et si, dans le cas affirmatif, une éducation rigide ou inhibitive ne serait pas en cause. Il faut remonter à la prime enfance pour en déceler des signes et des correspondances. Sa biographie, dès lors, signale que les conditions de l’époque sont extrêmement pénibles. Le décès de son père a lieu à moins d’un an de sa venue au monde. Et sa famille vit pauvrement. Ce sont là, justement – si l’on a à expliquer les frustrations d’un enfant –, autant d’éléments d’analyse qu’il faut privilégier. Dans ce cas, certes, le décès du père peut suggérer que la figure du patron n’est pas résolument paternelle, mais il n’en demeure pas moins qu’elle est surmoïque et substitutive : l’enfant Camus a eu à répondre de ses gestes face à une grand-mère autoritaire. Son inconscient n’a pas pu ne pas tenir compte de sa tyrannique suspicion. Entre autres, le marquant épisode de la pièce de deux francs, rapporté dans Le Premier homme[3], qui lui vaut honte et remords.


Les malaises se ressemblent dans lesquels l’auteur et le personnage donnent l’air de s’engluer. Cependant ce malaise de Camus recoupe bien un autre malaise, celui du même Camus mais ici face à l’image de l’Arabe. Celle-là, on la retrouve tant dans L’Etranger que dans L’Hôte, La Femme adultère ou Le Premier homme dans sa forme harcelante ; et, du reste, récurrente. Elle signifie une re-figuration de soi où, selon les mots de Paul Ricœur, l’auteur est à son histoire personnelle tout à la fois un lecteur et un scripteur[4]. Une telle posture permet de se détacher de soi, de se regarder objectivement pour comprendre la nature véritable de son trouble. Pour faire court, et sur un plan humain : le Même ainsi est transmué en l’Autre de Moi. Raymond, ami et voisin de Meursault, dans le récit qui nous concerne, lui-même redoute de se trouver nez à nez avec un groupe d’Arabes. Il faut dire qu’il est maquereau et qu’il maltraite sa maîtresse – sœur de l’un d’eux. Au passage, l’identité arabe de la fille prostituée mérite d’être soulignée. De la sorte, Raymond ne saurait jouer d’autre rôle que celui d’une brute. Il a à rendre des comptes aussi bien pour sa brutalité que pour son attitude de spoliateur. Il symbolise le côté tant décrié et si peu noble de la posture coloniale – précisément, le côté où la morale et l’altruisme ont cessé d’exister. Mais de par son conflit avec des Arabes, il incarne aussi un des aspects de la susceptibilité de l’auteur lui-même. Il est clair, alors, que cette susceptibilité a un lien avec un sentiment de la faute ou même avec le fait que dans l’entendement de l’Autre cela impose réparation.


Le récit réunit les destins de Meursault et Raymond pour ainsi conjuguer deux plans de la culpabilité coloniale. Raymond est coupable, sans l’ombre d’un doute. Meursault, lui, pas encore : à la phase première de la narration, il l’est par identification et dans une moindre mesure par son caractère influençable. L’histoire personnelle du narrateur-auteur fait partie d’une trame générale et ancienne. L’on sent qu’il est pris dans la gangue d’un sordide conflit mais, d’une certaine façon, il se croit pleinement concerné. En vérité, il hérite du temps ce sur quoi va se fonder sa logique de tuer un des Arabes. Car cette influence ou ce poids de la communauté – ainsi que nous le rappelle C. G. Jung – ne sont pas sans des conséquences sur l’intégrité morale de l’individu :


Plus une communauté est nombreuse, plus la sommation des facteurs collectifs, qui est inhérente à la masse, se trouve accentuée au détriment de l’individu par le jeu des préjugés conservateurs ; plus aussi l’individu se sent moralement et spirituellement anéanti, ce qui tarit ainsi la seule source possible du progrès moral et spirituel d’une société. Dès lors, naturellement, seuls prospéreront la société et ce qu’il y a de collectif dans l’individu[5].


Voilà qui atteste d’un ascendant très fort de la société sur l’individu, qui en même temps conçoit l’individuel et le collectif de nature à développer les mêmes ambitions, les mêmes illusions, les mêmes vanités, les mêmes égoïsmes. De cette communauté des destins, s’établissent, sous des formes très diverses, d’implicites contrats. Ce qui nous porte à établir un parallèle entre le revolver que Meursault utilise pour son forfait et la plume que Camus doit engager – plus tard – pour justifier sinon la domination elle-même du moins la présence française en Algérie. Car, n’oublions pas, il a défendu jusqu’à sa mort en 1960 la perspective d’une Algérie française – mettant en garde contre tout ralliement au panarabisme ‘’dangereux et rétrograde’’ instigué par Nasser et les mouvements de gauche communiste. Pareillement, la déposition de Meursault au commissariat[6], qui innocente Raymond, cadre tout à fait avec une logique voulant que l’on supporte infailliblement les siens.


Meursault de ce fait – comme Raymond – laisse percevoir des facettes de Camus. Trouvons là une tendance de l’auteur et, comme dans toute tendance, trouvons aussi des aspects non des moindres de sa personnalité. Son paradoxe personnel, ses amitiés, ses inimitiés, ses peines, celui-ci en réalité nous les livre à travers ses personnages – comme à son insu. Ce sont là des interférences qui, par ailleurs, sont de nature pragmatique et stratégique : elles visent essentiellement à agir sur le lecteur, à conférer au récit une vraisemblance et une lisibilité particulières. En donnant l’illusion que Meursault peut être son double, Camus de fait accentue la réalité des faits narrés. Il leur arroge plus de crédibilité, les rend dignes d’intérêt. Le journal tenu par Meursault, qui n’est d’autre que le roman lui-même, représente quant à lui un des procédés narratifs donnant l’illusion que l’auteur s’investit dans son personnage. Et, en effet, par moments, la ressemblance est frappante. A travers Meursault, véritable prototype de pied-noir fonctionnaire, comme le fut Camus lui-même, s’établissent de multiples connexions. Leurs reflets et ce qu’ils suggèrent de réalité amènent le lecteur à adhérer au programme de l’auteur. Auteur et lecteur, ensemble, partent ainsi à la reconquête d’un sens du monde posé d’emblée comme chancelant. Deux perspectives donc de l’auteur : frapper l’esprit du lecteur, l’inviter ensuite à conclure à l’absurdité des lois qui régissent le monde.


L’expiation de la faute
Peu ou prou, Camus se livre à travers ses personnages et de façon auto-accusative. De façon auto-accusative : le trio Meursault, Raymond, Salamano dans lequel il se laisse reconnaître par certains aspects n’est ni valorisé ni valorisant. Si bien que l’on en vient aisément à mettre le procès de Meursault sur le compte de griefs que Camus aurait pu avoir nourris dans le secret de son cœur (et/ou dans son intime conviction) à l’égard de l’institution coloniale, et en effet de lui-même. La condamnation à mort et l’exécution de Meursault, elles, ravalent celui-ci au rôle de victime expiatoire : d’abord pour sa faute propre, ensuite pour la faute de tous les siens. Rappelons à ce titre qu’en langue allemande le mot Schuld signifie aussi bien la dette que la culpabilité[7]. Implicitement, l’auteur admet que la colonisation fut non pas seulement un ratage (le mot est de Bernard Mouralis)[8] mais surtout un désastre. Autant la faute chez Camus est ressentie de façon omniprésente autant le crime de Meursault entend atteindre le sommet de l’inhumain. C’est là, assurément, un acte suicidaire/autopunitif à la mesure de l’insurmontable mais qui entend être énergiquement rédempteur. Tout comme nous l’observons dans Crime et châtiment, roman de la faute et de la réparation, dont on sait la forte influence sur notre auteur. C’est dire le pont jeté entre les œuvres par l’instance créatrice et l’apport à L’Etranger de la morale dostoïevskienne : un crime fût-il inspiré pour promouvoir le sort de l’humanité saccage la cohérence universelle, confronte son auteur à ses démons et sa déchéance. A cette différence avec Raskolnikov que Meursault ne se montre nullement torturé par les remords et que cela le rend plus impitoyable.


Par tendance, on arguerait volontiers du fait que Meursault est incapable d’être autrement qu’étranger, à lui-même et à tout. Mais avouons qu’il y a lieu quand même de s’interroger sur certaines des postures de Meursault symptomatiques de psychoplasticité. Sa susceptibilité est un trait non moins dominant que celui de son indifférence. L’une comme l’autre sont révélatrices de la nature de ses rapports avec le monde. Contrastants, cependant, ces deux traits trahissent d’imprévisibles changements d’attitude. A ce titre, un sujet souvent peut anticiper les événements : sa susceptibilité a de quoi s’apparenter à une forme de l’intelligence ou de la vivacité d’esprit. Et coulée dans le moule d’un préjugé étroit et fort ancien, elle intervient chaque fois que l’intégrité de la personne paraît menacée, faisant sortir celle-ci de sa léthargie. Ce passage de Crime et châtiment nous paraît illustrer parfaitement cet état de fluctuation :


Par moment, il était gagné par une angoisse douloureusement poignante qui se transformait même en une terreur panique. Mais il se rappelait aussi d’avoir eu des minutes, des heures et peut-être même des jours pleins d’une apathie qui le prenait comme par contraste avec la terreur qui l’avait précédée, apathie analogue à l’état d’indifférence morbide de certains agonisants[9].


L’indifférence, en vérité, est à la susceptibilité ce que la résignation est à la révolte. A ceci près que l’indifférence ne semble pas si irréversible. Celle de Meursault correspond à un état de grave frustration, de souffrance et de réclusion dans le silence. C’est que Meursault est accablé et, face aux événements, il est tragiquement anéanti. Pour ne pas affronter ses problèmes – insolubles –, il adopte une attitude de fuite qui n’est pas sans être similaire à celle de Raskolnikov, qui en fait la dépasse en gravité :


[Il] cherchait à échapper à cette conscience claire et complète de sa situation ; certains faits essentiels, qui exigeaient une élucidation immédiate, lui pesaient tout particulièrement ; mais combien il eût été heureux de se libérer et de fuir certaines préoccupations dont l’oubli, dans sa situation, le menaçait d’ailleurs d’une catastrophe totale et inévitable[10].


Les conflits intérieurs, quoi qu’on fasse pour les réduire au silence, en réalité restent toujours à l’affût ; ils profitent du moindre rappel pour revenir à la charge.


Par ailleurs, l’épisode de Salamano, pour ne prendre que celui-ci, prouve qu’il peut être « ennuyé » – c’est-à-dire sensible à ce qui arrive de malheureux aux autres[11]. Ennuyé et, sur d’autres plans, pour ne plus l’être, capable de réactions désastreuses. Meursault en fait est d’autant plus réceptif/influençable qu’il procède par évocation et par une sorte d’intuition : les choses l’interpellent vigoureusement par leurs symboliques dimensions. Quand Salamano perd son chien, galeux certes, et qu’il sombre dans sa détresse, l’impression devient forte pour affirmer que l’animal était sa seule attache avec le monde. Or Meursault vient d’enterrer sa mère et leur malheur a pu les rapprocher. N’oublions pas les propos, tenus par Salamano à Meursault, où apparaît dans toute leurs dimensions sa culpabilité et ses remords d’avoir maltraité son chien et ainsi de l’avoir poussé à fuir. Tout cela est fort suggestif et son retentissement certain dans l’âme de Meursault. Mais c’est surtout la misère morale de Camus lui-même qui apparaît à travers salamano. Voilà un autre trait de Camus – celui-ci existentiel et psychologique – reflété cette fois-ci à travers Salamano et son atroce solitude. La mort de la mère de Meursault, le départ à l’asile pour vieillards de la mère de Camus, le vide laissé à Salamano par le départ de son chien ont en commun de suggérer un abandon. L’on repère dans le texte la marque évidente de ce que la psychanalyse nomme par névrose d’abandon[12], qui signifie l’existence chez le sujet d’une angoisse d’abandon et d’un besoin de sécurité – affective en effet. L’apparente apathie de Meursault n’est par conséquent que la façade derrière laquelle se dissimule ses frustrations, qui endigue ses troubles et sa violence. De façon certaine, il est prêt à parer à tout reproche et se tient constamment sur la défensive.


Pour toutes ces raisons, Meursault entretient avec le monde un équilibre des plus précaires. S’il se désintéresse du monde, le monde en revanche vient à lui, le provoque en quelque sorte. Les « quatre coups brefs frappés sur la porte du malheur »[13], à savoir les quatre balles tirées, sont autant de signes de vulnérabilité que d’exaspération. Leur mobile, en effet profond, décèle une pulsion de mort ; ils poussent vers une néantisation de soi à travers l’Autre. Symboliquement, sa tendance suicidaire transparaît dans l’ombre recherchée à tout prix. Tel dans ces mots surgis comme d’un monologue, en lien avec la chaleur torride mais aussi avec son inconscient : « […] fuir le soleil, l’effort et les pleurs de femme, envie enfin de retrouver l’ombre et son repos »[14]. On sent là un être excédé que seule la mort peut libérer. Bientôt, en tuant l’Arabe, il retrouvera l’ombre – puis la prison et la mort. Il n’est que de viser sur cette forme allongée, d’appuyer sur la gâchette, et il n’aurait plus à se justifier. Il en finirait avec cette figure persécutive…et avec tout.


Un détail surgit qui mérite que nous nous attardions un peu. Le crime a été perpétré en un lieu où Meursault dit avoir été énormément heureux. Il ne pourrait s’agir que de la plage des Sablettes, proche d’Alger, où l’enfant Camus avec son oncle faisait de fréquentes escapades[15]. Mais dans le récit cet endroit figure l’existence sur le fil du rasoir – entre le chaos et le paradis. En entraînant la perte du paradis, le meurtre donne l’occasion à l’auteur – sur un plan humain et politique – de soutenir qu’un état de choses (l’ordre qui préside à l’époque…) n’est là que pour hisser la désespérance à la folie.


Diverses hypothèses, toutes dignes d’attention, ont été émises ou sont à émettre qui entendent élucider les raisons obscures de l’assassinat de l’Arabe. Il est vrai, dans l’optique de certains, qu’il y a là un passage à l’acte inconscient renvoyant à une Algérie débarrassée de la figure culpabilisante de l’autochtone. Il est encore vrai, dans l’optique de certains autres, qu’à travers une scène aussi saisissante l’auteur plaide pour la fin d’un ordre implacable. Il n’est pas moins vrai, dans un tout autre ordre d’idées, que tuer l’Arabe équivaut à vaincre sa peur ; il faut dire que le couteau, dans l’imaginaire de beaucoup, est associé à la figure de l’Arabe. Sans trop s’étaler : l’on n’en veut pour preuve que Les Assassins de l’historien sectaire et islamophobe Bernard Lewis. Mais Le Premier homme n’échappe pas à cette tendance : on peut facilement attester d’une terreur chez Camus si l’on considère la scène où des soldats français sont tués et émasculés par des ‘’rebelles’’ arabes. Terreur et révulsion d’un auteur qui – quoique de façon historiquement discutable – entend signifier une ligne de démarcation entre révolte et cruauté. Or, pour revenir à Meursault, énoncé expressément qu’il frappe sur la porte du « malheur », son geste, en tout cas sur le moment, ne saurait donner lieu à la satisfaction. Pas plus pour le personnage que pour l’instance créatrice ce geste ne signifie une issue véritable. Certes, à la rigueur, on peut postuler que l’amertume du personnage lui rend la mort plus désirable que la vie. Mais de tous ces points de vue, et nous en oublions d’autres, il semble plus sensé de pencher pour celui du renoncement au ‘’bonheur’’. Mort et renoncement au bonheur : voilà les derniers retranchements dans lesquels des forces multiformes puissamment liguées sont capables de pousser. Le fantasme, si tant est qu’il y en ait un, consiste dans l’exorcisation par une violence imaginative de cette terreur imprimée par le temps dans les mentalités.


Dialectique compliquée versus construction intelligible

Complexe, cette question gagnerait à être traduisible. Camus alors la pose de façon architecturale. Il divise le roman en deux parties quasi égales, situant le meurtre à la toute dernière page de la première partie. Dès lors, ce dernier constitue le point d’incidence d’un ensemble de petits riens qui meublent la vie de tous les jours mais qui, dans l’existence d’un homme d’ailleurs de loin le plus calme de nous tous, semblent accrédités pour déclencher de violents désordres. Le meurtre, tant sur le plan sociologique que psychologique ou climatique incarne l’endroit intense de la crise. Il est dépeint de façon paradoxale, comme imparable et comme injustifiable. Ici, incontestablement, quelque chose peine à dire ses intentions en toute clarté. L’inextricable prend place, dans l’absence des paradigmes. Nous sommes au cœur de la question. L’édifice romanesque maintenant est à moitié sur pied, sur lequel va s’appuyer la logique de l’auteur tant pour sonder l’injustifiable de l’homme que pour lui opposer le poids de l’arbitraire.


Nous utilisons à dessein le terme d’édifice pour suggérer que c’est là un travail de montage et de construction du sens. La deuxième partie débute par l’arrestation de Meursault. D’abord, il est question de l’instruction qui dure onze mois. Viennent par la suite l’incarcération, le procès et la sentence redoutable. L’auteur amène le lecteur à cerner une à une les facettes d’un personnage absurde, lui-même confronté à une humanité (témoins, foule…) et un système (avocat, juge, procureur, aumônier) tout aussi absurdes. Tout comme il l’amène à comprendre que le caractère est dialogique des rapports « entre toutes les parties et tous les éléments du roman »[16].


Cependant, au fil de la narration, à lire scrupuleusement, on peut voir à l’œuvre l’intrication de petits détails. Pas aussi petits qu’ils donnent l’air, ni en réalité insignifiants. Presque tous les compagnons de cellule de Meursault sont des Arabes – visiblement loin d’être antipathiques ! – et les conditions de leur détention on ne peut plus sordides[17]. Camus ainsi entend disqualifier la machine judiciaire au même titre qu’il entend fustiger la religion chrétienne. Incarnée par l’aumônier venu, lui, réconforter le condamné, celle-ci est appréhendée comme le sein qui transmet et fait se perpétuer le gène de l’injustice – voire comme entité appartenant au champ de l’arbitraire. L’aumônier, notons, est la dernière personne à qui Meursault a eu à parler avant son exécution. Tous deux, donc, système judiciaire/pénitentiaire et religion, entretiendraient par connivence d’étroits rapports avec la détresse, l’infortune et la mort. Plus précisément, l’ordre institutionnel dans sa dimension paternelle et surmoïque est ici mis à mort par l’auteur.


Tout cela prête à croire que ce roman est autant le procès d’un ordre tout puissant que celui d’un meurtre ou d’un meurtrier. Il ne saurait être ici le lieu pour Camus de refouler l’Arabe d’un paradis auquel il aurait aspiré égoïstement. Le récit fait état d’abord de l’absurdité d’un conflit intercommunautaire, ensuite de l’absurdité d’un crime, enfin de l’absurdité du procès qui s’en est suivi. Tout cela se tient à la manière dont se trament les fils d’un tissu. Sans doute en Meursault est-il mis le soi de l’auteur mais en réalité il s’agit de cette ombre au sens junguien du terme, dont se libère (ou qu’évacue) l’instance créatrice. Et le crime et le jugement et l’indifférence du meurtrier, insistons, se trouvent dénoncés. A travers Salamano, qui est lui aussi un soi de l’auteur, c’est la question de la cohabitation et de la maltraitance qui se pose. Le chien maltraité symbolise l’insupportable qui accule à se défaire de la tutelle du maître ; il symbolise l’opprimé qui, un jour ou l’autre, finirait par briser ses chaînes. Moralité : tout ce désordre est appelé par l’auteur à disparaître ; entre autres, celui de Meursault qui est bel et bien un engendrement du désordre général. Tant qu’à retenir la thèse d’un assassinat inconscient par l’auteur, autant dire que L’Etranger est le site d’un tourment et d’une conscience du mal – par suite, le lieu d’un sentiment de culpabilité. La rédaction du roman, elle, serait le rituel grâce auquel on exorcise le démon de la faute. En accablant Meursault d’un tel malheur, Camus donne l’apparence de s’inventer un fétiche. A travers lui, il pourrait se flageller à loisir. De fait, ce caractère masochiste atteste de l’omniprésence d’un sentiment de dette.


Vers l’arbitraire versus vers la conscience

Envisagée, cette thèse, sous l’angle de la structuration du récit, elle signale deux parties porteuses d’effets. La première comme la seconde développent des dialectiques qui fusionnent dans le principe de la mort. C’est une convergence synonymique plaçant l’assassinat de l’Arabe et l’exécution du Français sur un pied d’égalité. Ici, l’on croirait voir une façon « géniale » de réhabiliter l’image de l’oppresseur. Or elle désigne, sans le dire explicitement, un seul et même responsable : soit, comme nous l’avons énoncé plus haut, l’ordre du monde et/ou le pouvoir dans ses manières d’être.


D’autre part, le roman comporte au total 112 pages. Six chapitres sont assignés à la première partie et cinq autres à la seconde. Si l’on excepte les pages réservées à la visite de l’aumônier tout à la fin (celui-ci, comme l’espace dérisoire que lui attribue l’auteur, fait figure d’un résidu du système), on remarquera que les deux parties sont nettement symétriques. Ce qui nous ramène, une fois de plus, à deux corps du texte analogiques, traduisibles par un respect de la mesure et de la justesse, mais correspondant à l’absence alarmante de justice. Le respect de la mesure est en soi une aspiration à l’unité ; c’est lui qui sollicite le plus lorsqu’on fait face socialement et psychologiquement à un état de grave dislocation. Les deux parties, tout comme le travail sur la vraisemblance ou l’imbrication des rôles, sont d’aspects techniques – néanmoins extérieurs au contenu du texte. Elles représentent la forme artistique et la matérialité de l’esprit qui gouverne tout le texte : la dualité et les parallèles développées.


C’est le texte lui-même en tant que matériau réalisé qui suggère quelle forme il peut ou doit prendre. L’effet attendu est que la forme et le contenu puissent se refléter et offrir un caractère d’homogénéité, tel que ce passage de Mikhaïl Bakhtine le présente :


Toutes les articulations compositionnelles d’un ensemble verbal – chapitres, paragraphes, strophes, lignes, mots, n’expriment la forme qu’en tant qu’articulations. Les étapes de l’activité verbale génératrice sont les périodes d’une tension unique, sont des éléments atteignant à un certain degré d‘achèvement, non du contenu lui-même, comme déterminés de l’intérieur, mais des éléments d’une activité qui englobe ce contenu de l’extérieur, déterminés par l’activité de l’auteur orientée sur le contenu, mais s’infiltrant, naturellement, de façon importante dans le contenu, lui donnant sans le contraindre une forme esthétiquement adéquate sans lui faire violence.


Envisagée sous l’angle de la narration, cette thèse, nous l’avons dit, fait ressortir un décalage entre l’auteur et le personnage narrateur. Celui-ci, aurait-il émané de lui un certain charisme (dû peut-être à un franc-parler, une sorte de naïveté voisine de l’humilité), reste assez sombre pour interpeller les consciences humainement ou moralement. Héros négatif, face à l’injustice et à l’arbitraire, il n’a que l’indifférence à opposer. L’auteur, en revanche, est cette instance qui, pour réaliser ses perspectives éthiques et morales, adopte un certain nombre d’attitudes esthétiques. Il est plutôt perceptible à travers le style dont les effets recherchés sur le lecteur ne se démentent pas. A travers ses thèmes privilégiés et leur récurrence, les surgissements des mythes et leurs reflets, les formes et les mouvements mobilisés, les connexions entre fiction et biographie. A travers les séquences du récit toutes soudées les unes aux autres, c’est-à-dire modelées, agencées, ordonnées, orchestrées, stratifiées. Autant de procédés dynamiques propres à l’auteur qui opèrent parallèlement aux personnages, mais avec eux, pour en fin de compte susciter chez le lecteur sinon un désir d’équilibre du moins un moment d’intense intelligibilité. C’est dans ce cadre et précisément pour souligner le rôle manipulateur de l’auteur – autant en ce qui a trait aux personnages qu’en ce qui concerne le lecteur appelé, lui, à souscrire à sa vision du monde – que Merleau-Ponty note :


Tant que le langage fonctionne vraiment, il n’est pas simple invitation, pour celui qui écoute ou lit, à découvrir en lui-même des significations qui y soient déjà. Il est cette ruse par laquelle l’écrivain ou l’orateur, touchant en nous ces significations-là, leur fait rendre des sons étranges, et qui paraissent d’abord faux ou dissonants, puis nous rallie si bien à son système d’harmonie que désormais nous le prenons pour nôtre[18] .


D’aucuns penseraient que le style de l’œuvre romanesque de Camus est concis ou journalistique. Mais certains textes, du moins certaines régions de ses textes, dérogent à cette règle. Dérogent à ce que Roland Barthes qualifie de degré zéro de l’écriture ou d’écriture blanche[19] : la page, par exemple, où se passe le meurtre de l’Arabe[20]. Ici la narration s’emballe, emportant le lecteur dans un jeu d’ombre et de lumière, tantôt les opposant tantôt les conjuguant. Le soleil est on ne peut exaspérant ; l’ombre, elle, interpelle par sa clémence. Vient alors le souvenir d’une source rafraîchissante non loin à l’ombre d’un rocher[21].


Mais attardons-nous encore quelque peu. Opérons par flash back. Il faut se demander comment les choses en sont venues à ce moment de folie furieuse. De l’enterrement de sa mère à l’arrivée à la mer au niveau de ce rocher, faut-il remarquer, il n’a pas coulé beaucoup d’eau sous les ponts. Ou beaucoup d’encre sur le papier. On sait que de la perte d’un proche résultent mélancolie, anxiété et même dépression. Dans le langage psychiatrique, cela a nom d’événement « dépressogène ». C’est une séparation qui aura été ressentie forcément comme une blessure, supportable pour certains (du moins dans un premier temps) mais carrément insupportable si par la suite d’autres événements (provocants ou menaçants) venaient s’articuler autour d’elle. Et c’est le cas ici : Meursault traîne son malheur avec lui. En quelque sorte, la mort appelle la mort. Et le décès de sa mère n’aura pas été sans conséquences sur sa vie psychique ou sa conduite ultérieure, quand bien même il n’en montrerait pas de signes d’afflictions. Or il y a eu rixe sur la plage ; et au cours de la rixe la balafre infligée à Raymond. Voilà qui est traumatisant et prend l’envergure d’un sacrilège vis-à-vis de la plénitude des lieux – c’est-à-dire de la mer/mère.


Enfin, voici la goutte qui fait déborder le vase. Un des Arabes est là couché sur le dos, la tête dans l’ombre, le reste du corps au soleil, interposé entre lui et la satisfaction de ses désirs. S’il est, à l’origine, l’entité même qui suscite la méfiance, en cette étape de la promenade sur la plage, il devient celui qu’il faut abattre coûte que coûte. C’est un être qui aura atteint un degré de négativité insupportable. On peut maintenant imaginer la suite. Un instant d’anxiété exceptionnelle ou même de terreur rassemble dans une dense confusion les éléments de la vie et ceux de la mort. Meursault à mesure qu’il avance, perd le contrôle de lui-même. Il entre dans une zone franchement survoltée. L’atonie qui le caractérise jusqu’ici fait place à l’hypertonie, si bien qu’il passe à l’acte. Commis au moyen d’un révolver en effet, ce crime ne donne pas l’air de réclamer beaucoup de contrainte à son auteur. Rien, visiblement, que de simples pressions sur la gâchette…Mais en réalité, la situation est on ne peut plus tensive, réclamant des forces exceptionnelles. Tel que Dostoïevski en a génialement saisi le caractère surhumain à travers les mouvements de son personnage Raskolnikov :


Il retira complètement la hache, la brandit des deux mains, à peine conscient de lui-même, et du revers, presque sans effort, presque machinalement, la lui laissa tomber sur la tête. Ce fut comme si ses forces n’y avaient pas participé. Mais à peine eut-il abaissé la hache, que les forces lui revinrent. […] Alors il frappa de toutes ses forces, une fois, deux fois, toujours du revers de la hache, toujours sur le sommet du crâne[22].


L’auteur retrouvé
Tout le génie créateur de l’auteur intervient pour rendre ce moment volcanique. La métaphore entre en jeu. Le banal recule devant l’extraordinaire. L’ombre, elle, cède aux flamboiements. Le silence abdique aux cymbales du soleil. Les choses prennent des dimensions démesurées. Le couteau de l’Arabe n’est rien moins qu’un glaive étincelant. La scène emprunte ses éléments aux cataclysmes. Sur un plan psychanalytique plutôt junguien, cette rhétorique du soleil et de ses reflets imparables transporte dans une dimension archétypale du père, de Dieu, de l’ordre implacable…tout ce face à quoi Meursault désarme facilement. Impuissant, en effet, il obtempère à l’injonction de tuer de son sur-moi collectif.


L’Arabe étendu près du rocher symbolise une Algérie plongée dans un état léthargique. Le meurtre lui est là une ré-effectuation du geste colonial dans sa forme à la fois conquérante, vindicative et usurpatrice. N’oublions pas le caractère intertextuel de cet assassinat. Si dans L’Etranger celui-ci laisse présumer qu’il est commis de façon gratuite, c’est-à-dire sans motif intéressé ni crapuleux, ce qui, on en conviendrait, le prive de toute vraisemblance, dans Crime et châtiment il est suivi de la mise à sac du coffre de la vieille usurière. Plus encore, il est sous-tendu par la misère et le besoin dans lesquels se trouve empêtré Raskolnikov. Voilà donc une pièce manquant, parmi tant d’autres, au puzzle qu’est L’Etranger. Difficile de faire ce lien ? Pas autant que cela paraît si l’on place à l’endroit qu’il faut la ligne de démarcation séparant l’auteur et le narrateur. Il va de soi que si l’on se positionne dans l’optique narrative, le meurtre de l’Arabe n’est en rien prémédité. Mais il en est autrement sur le plan auctoral et créatif, eu égard au génie investi, et à tout ce que l’histoire a nécessité de liens pour se tisser et nous mener à l’endroit de l’irréparable. Non, ce crime n’est pas gratuit et ne peut l’être : l’auteur, le premier, ne saurait y souscrire ; si à la fin du récit il donne l’impression de décharger l’individu Meursault c’est pour la bonne raison de mettre tout sur le compte de l’omnipotent système colonial. C’est celui-ci en réalité qui incarne le concept de l’absurde auquel on a tendance à donner une tonalité plutôt philosophique que politique.


Pour que le forfait de Meursault retrouve sa pleine signification, il faudrait nécessairement l’envisager dans tous ses liens. Voire dans toutes ses dimensions, psychologique, sociale, politique, climatique, historique, culturelle, symbolique, artistique, auctorale et narrative. Elles sont toutes aussi déterminantes les unes que les autres, dans un sens ou dans un autre, mais seule leurs conjonctions et leurs confrontations apportent vraiment un bon éclairage. C’est au lecteur qu’il appartient de rassembler les pièces manquantes – soit, de découvrir l’endroit des connexions, de combler les silences et les non-dits. Il est question dans ce crime non seulement de rapports de force (comme qui dirait le rapport couteau/revolver), de règlement de compte, de violence rancunière, de perte de contrôle psychique mais aussi de rapports à la rapine et à sa pratique. Nous sommes ramenés à la figure puissamment symbolique de Raymond évoquée plus haut attendu que le geste fatal de Meursault se trouve lié intimement à ses habitudes. L’objet du conflit arabe/Français d’abord latent, doit devenir effectif et nécessairement apparent dès lors qu’on prend acte de la condition de la fille (son exploitation, la violence et l’humiliation dont elle est l’objet) ; c’est cela même le noyau autour duquel forcément vont pivoter les personnages pour engendrer le phénomène qui hisse à la tragique dimension que nous connaissons. Pour plus de précisions : à cet objet du conflit vont s’ajouter les facteurs psychologiques, biologiques, sociaux, politiques, accidentels, culturels et climatiques. Tout compte fait, Raymond comme Salamano incarnent dans ce récit un type cruauté comparable. La naïveté, l’état pitoyable, l’apparence débile du second auraient tendance à le faire oublier ce côté malsain ; mais il existe, il reflète celui de Raymond, et l’auteur le signale qui dresse le parallèle humain/animal. De la sorte, l’oppression et la spoliation apparaissent comme les deux faces d’une même pièce – cependant dans leur nature autodestructive.


Camus dresse de façon surréaliste un portrait décryptable via de nombreux entrecroisements – certains aisément observables, d’autres pas. Néanmoins une lecture intuitive, en particulier sympathique, est à même de faire parler les silences, d’interroger les vides, de sonder le côté sombre et les peurs de l’auteur. Tout comme, pour être efficace, elle doit se dérouler simultanément et parallèlement sur les deux plans narratif et auctoral. Il en résulte dans ce cas deux perspectives moralement et esthétiquement opposées. Au personnage narrateur s’associent l’indifférence au monde, l’ombre, le mal, le principe de la mort, la tendance destructive, le non regret, le non-sens. A l’auteur s’associent la sensation du monde, le désir de lumière, le bien, la conscience, le principe de la vie, la tendance constructive, l’expiation de la faute, le sens. Schématiquement : si l’un et l’autre semblent cheminer dans la même direction, c’est pour se détacher résolument. Ils ne fusionnent pas. A la fin du récit, l’auteur se sépare de son ombre, la vouant à la mort et la désavouant.


Autant dire que Meursault n’aura été que l’endroit de réfraction de multiple discours et points de vue socialement et idéologiquement identifiables. Réfraction, y compris, de la parole de l’auteur, mais là dans une certaine mesure et dans la perspective d’une éthique tout à l’issue du récit. Ces reflets, le lecteur doit pouvoir les intercepter ; c’est à lui qu’ils s’adressent en fin de compte. Aux divergences et aux convergences auteur/narrateur, le lecteur peut emprunter les éléments à même de donner au récit tout son contour mais aussi de cerner la nature du trauma qui est à l’origine de son élaboration.


C’est dans le sens retrouvé que l’on reconnaît l’auteur. Et ce sens est partagé avec le lecteur grâce à des connivences, des pactes contractés ou même des désaccords. Il est ce qui donne au lecteur les moyens de formuler son jugement et de tirer une ligne de conduite. Meursault est à Camus ce que Raskolnikov est à Dostoïevski, c’est-à-dire une entité capable par son acte monstrueux de soulever des questionnements. Il est dans les réactions saines suscitées par des situations déshumanisantes. La différence entre Meursault et Camus réside dans ce qui oppose l’indifférence à la conscience. Meursault, en voulant précipiter le monde dans le chaos par son geste transgressif, s’écarte de l’auteur qui est, lui, un constructeur de sens – quoique à travers une recherche embarrassée. Ce récit est une construction, celle d’un univers où le meurtre et l’injustice reculent devant le désir de communion. Bref, d’une lame de couteau jaillit un éclair faisant survenir un moment où l’inconscience et l’indifférence s’effacent au profit d’une éruptive profusion de sens. Ainsi l’auteur frappe-t-il l’esprit du lecteur, faisant naître en lui la conscience de l’irréparable et du coup le désaveu du geste immonde.


L’Etranger : un roman historique

Pour rappel, Camus entame la rédaction de L’Etranger en 1938. Il le termine en 1940. Sur le conseil d’A. Malraux, il attend deux ans pour le publier. Tout en le rédigeant, il travaille comme rédacteur au journal Alger républicain. Dans ses reportages, il est amené à montrer du doigt l’arbitraire de l’administration coloniale, peignant la misère affolante de la population Kabyle. Voilà le ferment social et politique qui a donné pignon à son activité littéraire. Ecrit, donc, à une époque peu encline à l’échange, au droit à la parole et à la liberté de penser, L’Etranger de sa dialectique entend en fait contester la poigne dure et inhumaine du système en place. Sans doute l’auteur n’a-t-il pas franchement tiré la sonnette d’alarme, comme on le lui a reproché, mais il a posé, en effet dans sa forme compliquée, la question cruciale d’une cohabitation problématique. L’esthétique et le psychanalytique : voilà des atouts pour rendre compte d’un versant du monde fort escarpé, pour faire contourner à l’écrivain sa peur des représailles. De là, d’ailleurs, en évoquant le style de Camus et ses vertus, le concept d’écriture blanche chez Roland Barthes :


Cette parole transparente, inaugurée par L’Etranger de Camus, accomplit un style de l’absence qui est presque une absence idéale du style ; l’écriture se réduit alors à une sorte de mode négatif dans lequel les caractères sociaux ou mythiques d’un langage s’abolissent au profit d’un état neutre et inerte de la forme ; la pensée garde ainsi sa responsabilité sans se recouvrir d’un engagement accessoire de la forme dans une Histoire qui ne lui appartient pas[23].


En vertu de son expérience Kabyle et de ses enquêtes, Camus, plus tard, au moment où l’Algérie est à feu et à sang, déplorera dans certaines de ses publications, l’indifférence des autorités coloniales qui – comme pour appeler de leurs voeux la violence et les insurrections – ont poussé dans le dénuement des populations entières. En fait, c’est ce fil à l’origine atrocement rompu, ce qu’il évoque de tragique et d’arbitraire, que raconte L’Etranger dans un langage emblématique et même énigmatique. Déjà en 1936, dans son mémoire de DESS, à travers la figure de Saint Augustin, il a tenté tant bien que mal de ‘’réconcilier’’ les deux rives. Mais la réalité est telle que l’histoire a déjà enjambé des siècles entiers. Passer par Saint Augustin, assurément, lui permet d’aller à la recherche de ses origines et à travers elles de trouver des motifs à son existence particulière : il est clair qu’il vit son identité pied-noir de façon problématique.


Beaucoup de pièces manquent à son puzzle. Ses romans, ses essais, ses pièces de théâtre vont revêtir l’allure de véritables fouilles pour comprendre le pourquoi de ce puzzle impossible à former ou pour se convaincre de ce que tout semble contredire : son algérianité. L’Etranger, de la sorte, se présente comme un âpre témoignage de l’histoire et des déchirements humains. Il est avec certains autres – écrits par des Français – sans doute plus « courageux » – de rares œuvres littéraires qui traitent authentiquement de l’Algérie, que l’Algérie a écrites. L’auteur étant le lieu par excellence de médiation pour des moments de l’histoire durement ressentis. De là, la prépondérance de celle-ci dans les œuvres d’art dont témoigne T. W. Adorno :

L’élément historique est constitutif des œuvres d’art ; les œuvres authentiques sont celles qui se livrent sans restriction au contenu historique de leur époque et sans avoir la prétention de dépasser l’histoire. Sans le savoir, elles sont l’historiographie de leur époque, ce qui constitue un élément – et non des moindres – de leur rapport médiatisé à la connaissance, mais les rend précisément incommensurables à l’historicisme qui, au lieu de s’interroger sur leur contenu historique, les réduit à l’histoire qui leur est extérieure[24].


Conclusion
L’écart entre l’auteur et le narrateur tout comme leurs similitudes sont palpables. Que l’un et l’autre puissent sur quelques plans se renvoyer la même image ne doit pas accorder d’autonomie au second. Les actions de celui-ci n’ont d’importance que par rapport aux liens (de convergence ou de divergence) qu’elles tissent avec les actions des autres personnages. C’est dans ce qu’elles apportent au sens général et dans ce qu’elles provoquent d’interrogations morales qu’il convient de les saisir. Si entre les deux instances la frontière ne manque pas d’être fluctuante c’est du fait que le récit, outre le souci technique de vraisemblance, rapporte une réalité historique tout aussi âpre que celle où l’auteur lui-même se mire et s’implique. L’on reconnaît ici le malaise bouleversant d’un personnage amené (par les circonstances imaginées par l’auteur) à perdre toute confiance en l’homme – au point d’accomplir un geste monstrueux. A travers lui se profile certes l’auteur, toutefois il s’agit d’un auteur désarçonné par la conscience d’un impossible compromis, par ce que la réalité vécue laisse présager de colères corrosives à venir.


Tout compte fait, la question posée, de par sa polyvalence et sa complexité, de par les nuances qu’elle permet de déceler et les contours qu’elle recommande de ménager au récit, n’indique pas de tenir Camus pour un fac-similé du personnage. Ni d’ailleurs de se cantonner dans l’idée d’un meurtre comme visée unique de L’Etranger. En effet, fût-ce par défaut, fût-ce parfois à l’insu de son auteur, celui-ci amène à regretter l’absence d’une notion essentielle : la justice.



Pour citer cet article :

Mohammed-Salah Zeliche, "De l'écart auteur-narrateur dans L'Etranger d'Albert Camus, http://sentiers-sentiers.blogspot.com/


Notes



[1] « Pour les critiques, la signification directe, « valable en soi », des paroles du héros, brise le plan monologique du roman et appelle une réponse immédiate, comme si le héros n’était pas objet du discours de l’auteur, mais porteur autonome et à part entière de son propre discours », Mikhaïl Bakhtine, La Poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil, 1970, p. 33.

[2] Albert Camus, L’Etranger, Paris, Gallimard, 1942, 1996 pour la présente, p. 45.

[3] « Quand elle l’appela, il la trouva devant l’évier, son bras couvert de savon gris et se rinçant à grande eau. « Il n’y avait rien, dit-elle. Tu es un menteur. » Il balbutiait : « Mais elle a pu être entraînée. » Elle hésitait. « Peut-être. Mais si tu as menti, ce ne sera pas pain béni pour toi. » Non, ce n’était pas pain béni, car au même instant il comprenait que ce n’était pas l’avarice qui avait conduit sa grand-mère à fouiller dans l’ordure, mais la nécessité terrible qui faisait que dans cette maison deux francs étaient une somme. Il le comprenait et il voyait enfin clairement, avec un bouleversement de honte, qu’il avait volé ces deux francs au travail des siens. Aujourd’hui encore, Jacques, regardant sa mère devant la fenêtre, ne s’expliquait pas comment il n’avait pas pu ne pas rendre pourtant ces deux francs et trouver quand même du plaisir à assister au match du lendemain », Albert Camus, Le Premier homme, Paris Gallimard, 1995, pp. 87-88.

[4] « Le sujet apparaît alors constitué à la fois comme lecteur et comme scripteur de sa propre vie, selon le vœu de Proust [A la recherche du temps perdu, t. III, p. 1033]. Comme l’analyse littéraire de l’autobiographie le vérifie, l’histoire d’une vie ne cesse d’être refigurée par toutes les histoires véridiques ou fictives qu’un sujet raconte sur lui-même. Cette refiguration fait de la vie elle-même un tissu d’histoire racontées », Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Seuil, 1985, p. 443.

[5] C. G. Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient, Paris, Gallimard, 1964, pp. 73-74.

[6] « La veille nous étions allés au commissariat et j’avais témoigné que la fille avait « manqué » à Raymond. Il en a été quitte pour un avertissement. On n’a pas contrôlé mon affirmation. », L’Etranger, op. cit., p. 52.

[7] - Cf. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967, 1998 pour la 2ième édition, pp. 440-441.

- Cf. également, Pierre Kaufmann (sous la direction), L’Apport freudien, notamment l’article « La culpabilité » de C. Baladier, Paris, Bordas, 1993, pp. 81 à 86.

[8] Cf. « Entretien avec Bernard Mouralis », propos recueillis par Boniface Mongo-Mboussa, publié le 25.02.2002 sur Afriblog.

[9] Dostoïevski, Crime et châtiment, trad. E. Guertik, Paris, Le livre de poche (Librairie Stock pour la Préface, Librairie Hazan pour la traduction, Librairie générale pour les commentaires), 1972, p. 479.

[10] Dostoïevski, Crime et châtiment, op. cit., pp. 479/480

[11] L’Etranger, op. cit., p. 50.

[12] Cf. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, op. cit., p. 273.

[13] Ibidem, p. 62.

[14] Ibidem, p. 60.

[15] « La mer était douce, tiède, le soleil léger maintenant sur les têtes mouillées, et la gloire de la lumière emplissait ces jeunes corps d’une joie qui les faisait crier sans arrêt. Ils régnaient sur la vie et sur la mer, et ce que le monde peut donner de plus fastueux, ils le recevaient et en usaient sans mesure, comme des seigneurs assurés de leurs richesses irremplaçables. / Ils en oubliaient même l’heure, courant de la plage à la mer, séchant sur le sable l’eau salée qui les faisait visqueux, puis lavant dans la mer le sable qui les habillait de gris », Le Premier homme, op. cit., pp. 54-55.

[16] Cf. Mikhaïl Bakhtine, La Poétique de Dostoïevski, op. cit., p.82.

[17] L’Etranger, op. cit., pp. 73-74.

[18] La Prose du monde, Paris, Gallimard, 1969, p. 21.

[19] Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, « L’écriture et le silence », Paris, seuil, 1953 et 1972, pp. 54 à 57.

[20] L’Etranger, op. cit., pp. 61-62.

[21] L’Etranger, op. cit., p. 60.

[22] Dostoïevski, Crime et châtiment, op. cit., p. 87.

[23] Le degré zéro de l’écriture, op. cit., p. 56.

[24] Theodor W. Adorno, Théorie esthétique, Trad. De l’allemand par Marc Jimenez, Paris, Klincksieck, 1995, p. 255.



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