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Ce blog contient mes articles. Mais aussi des commentaires sur mon ouvrage "L’Écriture de Rachid Boudjedra". Ici, je réagis à l'actualité, partage mes idées et mes lectures. Mohammed-Salah ZELICHE

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jeudi 13 mars 2008

Littérature et citoyenneté

Rédacteur Agoravox

Littérature et citoyenneté. Le boycott du Salon du Livre en question

La question « l’écrivain et l’éditeur doivent-ils boycotter la version 2008 du salon du livre de Paris ? » entraîne d’office d’autres questions. Telles que, par exemple : tant l’un que l’autre sont-ils tenus d’être les militants d’une cause ? En quoi cet évènement choque-t-il des intellectuels en général, des Maghrébins et des Libanais en particulier ? Boycotter, n’est-ce pas un geste en soi anti-culturel ? N’est-ce pas là le fait d’un inconscient plutôt antisémite ?


Ces questions, dans le contexte actuel, on ne peut ne pas les formuler. Elles suggèrent l’existence d’un certain nombre de non-dits, de compromissions, d’intérêts ou d’enjeux que la culture et ses institutions véhiculent et dédouanent. Les clarifier, ces non-dits, équivaut à situer les réflexes anticolonialistes - du reste ceux des Algériens - aujourd’hui acculés à battre en retraite, sommés de faire des concessions. Non pas que les réflexes anticolonialistes soient les seuls capables d’identifier les atermoiements qui accompagnent cet évènement mais parce que celui-ci offre à leurs yeux des contours puissamment évocateurs.

Les Algériens, on en convient, sont ceux des peuples qui ont été les plus marqués par les atrocités de la guerre, par l’injustice sous toutes ses formes... Aussi, leur conscience historique est-elle incontestablement des plus alertes. Certes cela pourrait prêter à des présuppositions fort susceptibles de colorer subjectivement leurs façons de voir et de juger actuelles. Certes cela risque même de les condamner à une vision archaïque et rigide des choses, eussent-ils été capables de distinguer entre le bon grain et l’ivraie. Ou même de les engoncer à jamais dans des formules alibi, cérémoniales, vidées de vie et insincères. Le pouvoir algérien et, d’ailleurs à peu de choses près, tous les partis politiques trouvent dans la lutte d’indépendance le site précieux indépassable de leurs revendications identitaires pour embringuer leur monde et camoufler leur terrible désordre.

D’aucuns pourtant, en Algérie, sont prêts à brader leur dignité d’hommes ou de femmes, à adopter les pires positionnements, ne serait-ce que pour rappeler à la caste dominant le pays que son temps est bien révolu et ses jours davantage comptés. Ne serait-ce encore que pour rentrer dans le moule apprêté pour eux par la démagogie et les faiseurs de mirages. Or l’histoire, d’une façon ou d’une autre, rapplique, opère des retours époustouflants, persiste et signe... et invite, par voie de conséquence, à plus d’élévation. En d’autres termes : lors même que les Algériens essuient revers, mutilations, frustrations, dénis... de la part des nouveaux maîtres, faut-il pour autant faire table rase de ce patrimoine - moral après tout ?

De là le soutien des Maghrébins apporté de façon indéfectible à la cause palestinienne ; lequel soutien n’est pas que de nature communautaire - comme essayent de le faire admettre BHL, Finkielkraut... et consorts, soit les inconditionnels défenseurs de l’Etat hébreux. S’il n’avait été que communautaire, alors sans doute les Maghrébins auraient eu tort et ressembleraient même à ces derniers. Or leur langage est d’autant plus crédible que légitime : s’inscrivant dans un cadre moral/humain/universel et découlant d’une conscience historique qui ne s’en laisse pas conter.

Dire, comme certains, que l’Algérie n’a rien fait en matière de tolérance et d’acceptation de l’Autre, lors même que cela serait vrai par certains aspects, revient dans maints cas à lui (l’Algérie) reprocher son intransigeance, sa soif de justice allant crescendo. C’est pécher par manque de relativisme culturel et trouver aberrant que l’on puisse dénoncer avec tant de conscience clairvoyante la souffrance des Palestiniens. Cette posture des peuples maghrébins tranche de fait avec l’ensemble du décor planétaire, dans la mesure où ceux-ci sont visiblement coincés entre la cruauté de l’Etat d’Israël, le silence complice de la communauté internationale et la lâcheté évidente des pays arabes. Après ce qui lui est arrivé de redoutable et désastreux en cette décennie 1990, l’Algérie finalement s’avère encore capable d’étonner outre-Méditerranée. Outre-Méditerranée où d’une part, on permet de tuer un peuple ; et où de l’autre, on honore son meurtrier, allant jusqu’à octroyer à celui-ci une tribune inespérée.

Voilà dans quel cadre se pose pour des écrivains algériens la question de la séparation de l’art et du politique, du citoyen et de l’écrivain... Il faut, décidément, bien moins que cela pour ne pas déclencher l’étonnement général.

D’invoquer la séparation de l’art et du politique apporte la preuve d’une conscience compromise. C’est en fait sacrifier à la politique et n’avoir que peu d’égard pour le premier. En effet, si l’art est par nature indépendant, il l’est autant vis-à-vis de la société que vis-à-vis du créateur lui-même. Autant dire illico qu’il est au-dessus des petitesses et ne saurait cautionner nulle dérive. S’en revendiquer à la manière de ceux et celles qui entendent aller à cette version du Salon du livre de Paris - au prétexte qu’il faudrait séparer - revient à se ranger à un credo institué, jadis ou naguère peu importe, pour décontenancer l’intellectuel engagé. Souvenons-nous, à ce titre, de Sartre, Mauriac, Breton, Aragon, Germaine Tillon... dont la parole défie tous les liens - à part celui de la fraternité humaine. Egalement la trilogie Algérie de Mohammed Dib (La Grande maison, L’Incendie et Le Métier à tisser) considérée par la critique non pas seulement comme une œuvre de combat mais essentiellement comme une œuvre humaniste transcendant l’identité étriquée et le nationalisme. Bref, dans ces quelques noms inséparables d’une cause juste, il faut savoir reconnaître tout aussi bien l’homme que le citoyen, l’écrivain ou l’intellectuel.

Choisir le camp de la neutralité est en soi un parti pris ; comme tel, dommageable. Le moindre que l’on puisse reprocher à cette attitude est qu’elle renonce à ses principes pour se laisser inféoder à une idéologie du silence et du mensonge. Car, sinon, pourquoi s’infliger ce clivage pour le moins en désaccord avec l’humanisme et la morale - si ce n’est en désaccord avec une harmonie de soi vers quoi tend toute œuvre littéraire digne de ce nom ? Et, en effet, en désaccord avec cette quête de soi sincère, loyale et altruiste distinguant entre celles des œuvres immortelles et celles des œuvres périssables.

Est-il nécessaire de préciser que ce qui est boycotté n’est pas le peuple juif, ni d’ailleurs les écrivains israéliens en tant que tels ? La manipulation à laquelle le monde assiste, à laquelle il s’habitue et s’abandonne par la force des choses, ne peut qu’inciter ceux dont la conscience n’a pas encore été lobotomisée à lui dire : « Assez ! » Du moins à dénoncer ses sinistres et perfides ressorts. Cette manipulation est celle-là même qui fait dérouler le tapis rouge devant des Etats génocidaires. Boycotter ne signifie guère une implication idéologique de la part des éditeurs et écrivains mais exprime bien au contraire un refus d’implication idéologique confortant la cruauté et lui donnant tous les droits. Nul besoin de le rappeler aux esprits. Nul besoin de poser cette question : « Si les éditeurs et écrivains ne le faisaient pas, qui d’autres le feraient ? » La question est morale, beaucoup plus individuelle et de conscience qu’elle n’est politique ou stratégique.

Y aurait-il une littérature qui ne soit, au moins par défaut, la configuration d’un monde idéal où triomphent la justice, la paix, l’harmonie... ? Toute littérature célèbre ce monde à part où la brutalité n’a guère de place et de droit. Dans la célébration du soixantième anniversaire de la création de l’Etat d’Israël et le caractère forcément pervers de cette invitation, il faut trouver un affront et une violence à l’encontre de la culture elle-même. Sous peine de banaliser l’horreur, il faut garder le réflexe naturel de s’étonner. S’étonner des écrivains qui s’accommodent de l’inhumain mais s’offusquer aussi d’une littérature qui tend à être un simple gadget pour endormir les esprits, les châtrer, les exciser...

Littérature sans conscience. Conscience sans littérature. Quelle posture ? Une telle question suggère l’existence d’un paradoxe qui n’est au fond rien d’autre qu’une façon de fausser compagnie aux valeurs morales les plus fondamentales. Plutôt : fuite, abandon, démission, déloyauté... Littérature et conscience : voilà en fait d’éternelles inséparables. Tandem agissant pour le compte d’une idée de l’homme suprêmement élevée. Si écrire est d’emblée agir pour soi-même, écrire c’est encore doublement agir - sur soi-même et sur le monde. Pour cela, je crois, rien ne vaut mieux qu’une bonne dose de bonne conscience.

Finalement, aller à ce Salon engage et le citoyen et l’écrivain. Pour une simple et bonne raison : l’un ne va jamais sans l’autre. A moins qu’on ne donne dans la schizophrénie, l’amnésie ou qu’on ne vive ailleurs que sur Terre. Dans ce cas...


Par
Mohamed-Salah Zeliche

Pour citer cet article :
Mohamed-Salah Zeliche, "Littérature et citoyenneté", http://sentiers-sentiers.blogspot.com/

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mercredi 5 mars 2008

Deux poèmes sertis de perles rares...


DEUX POÈMES SERTIS DE PERLES RARES...





L’Algérie t’aime




Je te confie la clé de ma ville, de mon temps

Pénètre invisible, silencieux mais présent

Foule ma terre, mes prés et mes jardins fleuris

Je te serre contre moi, je suis ta mère l'Algérie

Goutte mes fruits juteux, bois mon eau de source

Pénètre ma vie à petits pas feutrés en douce

Traverse mes rires, mes youyous, mon souffle

Mes pistes sinueuses, la mer bleue en cours

Glisse sur mes terrains, escalade mes monts.

Traverse Le blanc de l'Algérie ni peur, ni pont

Traverse ta ville, ta maison où l'on t'a vu naître

Tu aurais pu vivre, rester au pays de tes ancêtres.

Je t' aime mon tendre enfant, ne sais pas feindre

Essuies tes larmes, je ne veux pas que tu pleures

J' ai gardé ma terre avec l' amour de ton cœur

Ici ou là bas? Les âmes s'aiment et s'enlacent

Sur les dunes du désert d'amour s' embrassent

J' empreinte tes yeux bleus pour te laisser voir

Le soleil de l' Algérie effaçant ton amertume noire.


Par Fialyne
le 01/03/2008








Eldjazair, mon pays

Même si ce regard si distant, sur moi, posé,
Créant le malaise pour parler ou causer

M'indexant de l'intrus ou de l'étrangère
Voulant m'étouffer sur la terre de mon père

Je reste fille d'ailleurs, du Maghreb d'antan
Fille de là bas mais ancrée des siècles durant.

Sur la terre de mes ancêtres, pas des colons.
Je suis paisible citoyenne d'Alger, de Poirson.

Ton Histoire mon pays est écrite sur ma peau
Et mon sang vif d'Afrique fière coule à flots.

Non, je ne changerai mes veines car je suis
Je te chéris mon beau pays, je ne te fuis

J'ai appris la vie sous la clarté de ton soleil
Nourrie de tes fruits et de tes merveilles

Pour tout cela et pour d'autres encor
Merci car je t'aime de plus en plus fort.

Par Fialyne
le 06/02/2008






AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE L’AUTEUR


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vendredi 8 février 2008

Pour commander "L'Ecriture de Rachid Boudjedra..."

Commander L'Ecriture de Rachid Boudjedra. Poét(h)ique des deux rives à :
Karthala Editions
FNAC
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Amazon France
Mollat
Sauramps
Decitre
SOMABEC

Ou directement à l'auteur qui le transmettra avec dédicace

25€ (frais de port compris)
Contact : mos.zeli2007@gmail.com/
Ils l'ont lu et en parlent :
-Bernard MOURALIS, Prof. émérite (Quatrième de couverture)

-Kasereka KAVWAHIREHI, Prof. Université d'Ottawa ( Revue @nalyses)
-Max VEGA-RITTER, Prof. émérite (DzLit)
-Eleonora HOTINEANU (Revue EUROPE)
Lisez ce qu'ils en pensent sur ce blog


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vendredi 18 janvier 2008

Boualem Sansal, Le village de l'Allemand

Le village de l'Allemand

Lire :

  • L'interview accordée au NouvelObs et le débat suscité chez nombre d'Algériens sur le site francophone Le Matin Dz
  • Au sujet de Poste restante : Alger lire l'article de Yassin Temlali "Le serment des censeurs" paru sur le site Babelmed.net

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dimanche 16 décembre 2007

Mohammed Dib






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PROCHAINNEMENT
Une analyse de La Grande maison (1952) de
Mohammed Dib


– Un peu de ce que tu manges !
Omar se planta devant Rachid Berri.
Il n’était pas le seul ; un faisceau de mains tendues s’était formé et chacune quémandait sa part. Rachid détacha un petit bout de pain qu’il déposa dans la paume la plus proche.
– Et moi ! Et moi !
Tels sont les premiers mots du volet un de la trilogie Algérie. Nous sommes en 1939, à Tlemcen, dans la cour d’une école. Des mains se tendent vers un bout de pain. La misère crève le milieu du tableau. Un geste d'enfants faméliques qui en dit long. Laquelle ou lequel, de l’imploration et du harcèlement, le caractérise ? Les deux, à n’en pas douter. Il convient de voir là une attitude ambivalente de l’Algérien à certains de ses moments les moins cléments, voire ses tiraillements et sa relégation dans l’insupportable. Mais il faut voir également le prélude d'un monde dont Dib, tout au long de son récit, va sauver une à une de l’oubli les facettes atroces et tranchantes.

A bientôt pour la suite...
Le 12 déc. 2007
Par
Mohamed-Salah Zeliche

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Assia Djebar

ASSIA DJEBAR. ECRIVAIN ET ACADEMICIENNE







Son dernier roman








  • Assia Djebar. Son passage le 15-12-2007 dans l'émission Thé ou café sur France 2 : voir la vidéo. Suivre le lien...

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vendredi 2 novembre 2007

ESSAI

Essai



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mardi 30 octobre 2007

Fiction et réalité : dépassement et diffamation






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Article rédigé par Mohamed-Salah Zeliche paru sur COME4NEWS le 30 oct. 2007

La littérature comparaît à la barre. Au cœur du sujet : une intention de nuire. Elle est tantôt déboutée tantôt acquittée – à l’égal de sa commère la caricature, fort bien applaudie dans la relaxe de Charlie Hebdo.

Sur son site, Jean-Marie Le Pen communique à la presse l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire qui l’opposait à l’écrivain Mathieu Lindon, son éditeur P.O.L. et Serge July, directeur de Libération à l’époque des faits. Lapidaire et sans état d’âme, le communiqué désigne ces derniers comme d’indéniables diffamateurs – la justice française les ayant déjà désavoués.

L’accent est mis sur le fait que c’est « la réalité et non la fiction » qui a été jugée. Entendre : si le texte incriminé prétend être une fiction, les faits, eux, restent du ressort de la réalité. C’est leur utilisation, autre réalité, que le FN souhaite apporter à la connaissance de l’opinion. Pour ce parti comme pour son président l’arrêt de la CEDH a valeur de démenti des idées qui leur sont opposées. Ils ne sauraient espérer meilleur appui à leurs desseins politiques.

Les faits remontent à 1998. Mathieu Lindon publie un « roman » s’intitulant Le procès de Jean-Marie Le Pen. Y est évoqué la mort à Marseille d’un jeune homme comorien (Ibrahim Ali) entraînée par des colleurs d’affiches du FN. Mais on y est revenu aussi sur l’assassinat, le 1er mai de la même année 1995, du jeune marocain (Brahim Bouaram) jeté dans la Seine par des skinheads lors d’un défilé parisien du parti de Jean-Marie Le Pen. Lequel, dans la foulée de la narration est qualifié de « chef de bande de tueurs », de « vampire » et de menteur.

Serge July, lui, fait paraître une pétition dans Libération, permettant à 97 écrivains de soutenir l’auteur – ce qui n’est pas pour minimiser l’effet des propos incriminés. La justice française y voit là un comportement propre à exhorter à la violence. Et – quand bien même Jean-Marie Le Pen aurait été déjà condamné pour délit d’opinion – la CEDH, saisie à son tour, ne déroge qu’à peine aux jugements des tribunaux de Paris. Trois des quatre passages impliqués sont jugés diffamatoires.

La part de la fiction et de l’imagination est sans doute remarquable dans le livre de Mathieu Lindon. Néanmoins, de faire valoir que son entreprise est fictionnelle ne lui a été d’aucune utilité. Le titre est explicite. La personne à qui il impute les faits est – comme l’énonce l’article 29 de la loi sur la presse – clairement désignée. Par là, le délit de diffamation davantage établi. Ainsi l’auteur a-t-il inversé la donne – en étant aussi intraitable que le FN est ‘’dangereux’’. Il franchit la ligne qui aurait pu assurer à son travail le statut de fiction. Du coup, sous sa plume le texte devient un passage à l’acte ; tout au moins un acte matériel et une pratique réglée. L’éthique alors interpelle le justiciable qu’est l’auteur.

Nous sommes loin de Roland Barthes qui, évoquant L’Etranger, prête de la blancheur à l’écriture de Camus. Laquelle consiste dans un style quasi journalistique au moyen duquel, face à l’Histoire, l’auteur adopte une posture détachée propre à lui éviter les écueils. Loin, certes, également, des Mandarins (1954) où Simone de Beauvoir, grâce à un ‘’puzzle’’ dont elle a changé et interverti les noms des protagonistes, aurait prétendu qu’Albert Camus avait commis un faux témoignage. Mais là aussi les faits ont parlé qui appartenaient à l’Histoire – n’en déplaise à l’auteur qui refusa de l’admettre. Il y a chez tout écrivain une charge affective latente, parfois intense, qui amène à recourir à l’esthétique. Et cette esthétique formante, transformante, excitante… n’arrive à ses fins qu’en recourant à l’indirect.

La littérature n’est pas supportée quand elle accuse sans apporter de preuves. Ni quand elle excite âprement ce qui est intimement profond dans l’être, qu’elle s’empare d’un des versants de l’affect pour lui prêter une coloration diffamante. Ni encore quand, à travers un cas isolé ou individuel, elle impute la faute à tout un groupe, à toute une culture pour les offenser, les provoquer, inciter à les haïr et à les excommunier. En somme, le caractère est pervers d’une telle parole – le locuteur entendant Etre à travers la négation de l’autre.

Notons que si l’intention de nuire est souvent flagrante, elle n’a pas toujours requis le même jugement de la part des tribunaux. L’on en veut pour preuve l’affaire Houelbeq dans son déchaînement contre l’Islam. Mais aussi l’affaire Charlie Hebdo dans ses caricatures, relaxées sous des applaudissements. L’un comme l’autre ont suscité des solidarités fort peu honnêtes. Cela, alors que la défense trouve une échappatoire dans le clivage Islam/intégrisme. Elle oriente les regards vers celui des versants qui n’a de renom que celui de la violence. Ici également la donne est inversée mais au bénéfice de l’offense et de l’incitation à la haine.

Présent dans les situations d’intolérance et de rejets, dans les phénomènes de groupes, dans les questions identitaires..., l’affect procède pour donner raison à la seule mêmeté. Il marque de son empreinte la volonté de soumettre l’autre à une vérité proclamée comme plus loyale. Les écrits tendancieux puisent dans son magma sulfureux quand ils ‘’passent à l’acte’’. Il est la force à l’état brut et primitif et la forme qui entend dominer de toute son étendue. Mais, en réalité, l’art comme la littérature ne sauraient s’accommoder que de son versant positif – celui qui permet de communier avec le monde.

Moralité : dans la conjoncture délicate des luttes politiques, des règles de la démocratie, du respect de l’intégrité de la personne – fût-ce au détriment de nos bouillantes convictions –, il faudrait se garder d’aller au-delà de ce que peut supporter le débat. M.-S. ZELICHE.

Pour citer cet article :

Mohamed-Salah Zeliche, "Fiction et réalité : dépassement et diffamation", http://sentiers-sentiers.blogspot.com/

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mardi 23 octobre 2007

La mémoire, l’émotion, l’enjeu...






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Article rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
paru sur
AgoraVox





Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, s’en prend aux enseignants des lycées qui refusent de lire la lettre de Guy Môquet. Il les qualifie de corporatistes tout en leur reprochant de «prendre en otage un moment d’émotion collective». Cela, précise-t-il, pour des raisons qui n’ont rien à voir «avec le contenu de la lettre ni avec leur devoir de professeur ou leurs scrupules d’historiens». Il y a dans cette posture des reproches qui interpellent par bien des aspects. Le moindre est de s’interroger sur ce que cette lettre représente en dehors de son apport historique et éducatif peu particulier.

L’on notera certes que les propos d’Henri Guaino trouvent matière à s’étonner, à s’indigner, voire à regretter que la fibre nationaliste ne soit pas le pain quotidien des enseignants. Mais en réalité il faut voir là encore l’aveu d’un système posant l’émotion comme un facteur de cohésion nationale. Tant pour endoctriner des étudiants que pour agir sur l’opinion en général, l’émotion comme la mémoire ont constitué de précieux recours aux régimes totalitaires. De quoi en effet évoquer des moments nombreux de l’Histoire où des discours hystériques transformaient les hommes en chair à canon. En tout cas, le pouvoir actuel semble bien avoir besoin de donner un tantinet d’enthousiasme à la France et un tantinet d’humanité à son image. Cette lettre, cette mémoire et cette émotion, tout indique qu’on tente de les détourner.

Les mots qui viennent aussitôt à l’esprit pour qualifier cette posture sont propagande et attitude politicienne. Mais ce sont eux justement que l’on voit prendre place dans les coups de gueule des officiels Henri Gaino et Xavier Darcos. Quelque chose leur échappe et visiblement ils entendent le rétablir. Peut-être est-ce là l’essentiel de leurs rôles. Ils se mettent dans la peau de la nation. Et, comme des mal-aimés, montrent qu’alors même qu’ils sont dignes, leurs efforts sont vus à l’aune des partis pris - et, par là, sabotés. Indignité tout à fait à sa place ! Ainsi peuvent-ils dégager leurs discours de l’individuel et du particulier, lui conférant un ton de légitimité absolue. Or ce n’est là que paravents : ces mots, il convient de les appréhender comme une obstruction aux discours cantonnant déjà la droite au pouvoir dans une position condamnable.

Les propos d’Henri Guaino sont à lire tout à fait à rebours : son ton de colère semble vouloir dire qu’il a trouvé la formule qui lui donne raison sur la rébellion des enseignants et en même temps sur les détracteurs de tous bords. En squattant la nation et en donnant l’air de l’intégrer sans réserve en soi, il vole au secours du pouvoir dont il est la plume, la parole incarnée et la figure idéologique. L’offensive, par médias interposés, de BHL si elle pratique la duplicité (dédouanant et tirant d’affaire Nicolas Sarkozy), a au moins permis de montrer jusqu’où le langage du conseiller spécial à l’Elysée peut être truffé de non-dits, de mépris et de fourberie. Le paradoxe d’un tel homme politique est en effet de prêcher le messianisme sans en être méritant d’aucune sorte.

Il y a là qui interpelle par un côté méphistophélique. L’on fait semblant. L’on se montre triste et même très peiné. L’on joue avec les mots en leur faisant dire tout et n’importe quoi. H. Guaino s’interroge sur « ce que doivent être [...] l’éthique et les devoirs d’un professeur dont la nation a payé les études, dont la nation paye les salaires et auxquels la nation confie ses enfants ». Les enseignants... ces traîtres à la nation... ces monstres ! Les mots sont, on le constate ici, d’un autre temps, voire d’une dureté qu’il serait difficile de ne pas associer à la langue d’un caudillo. C’est la langue de bois par ailleurs dans tous ses états et ses désordres, elle se pare de respect et de dignité, mais pour laisser tout le champ à l’arrogance. La France ainsi a franchement des allures de République bananière. Derrière le mot nation, et l’égard de façade, que de servitudes se profilent et que de libertés on entend prohiber ! Henri Guaino use d’un langage paternaliste, en outre culpabilisant, qui vise sévèrement à faire rougir de honte. Les enseignants, pense-t-il d’ailleurs, doivent beaucoup à cette nation ! Lui, il le comprend fort bien : il n’est pas n’importe lequel des Français et son amour pour la France ne souffre d’aucun défaut... Or, voilà... il y a malentendu ! Et il faut bien s’entendre sur le sens que l’on doit prêter aux mots.

La nation manière Henri Guaino ? Les professeurs ne se reconnaissent pas en elle. Et pour cause, elle n’inspire guère confiance. Elle a des tas de choses à se reprocher et comme telle paraît rattrapée par un sentiment de faute. Elle pratique le détournement de la mémoire tant elle est moralement en faillite et qu’elle a besoin de se refaire la face. La vraie nation, elle, est au-dessus des petitesses, ne monnayant rien pour être respectée. Elle est capable de faire sereinement son autocritique. Elle ne s’embarrasse nullement devant les questions humanitaires parce qu’elle en fait sa priorité et son souci permanent.

L’on se demanderait à juste titre d’où est venu l’intérêt de Nicolas Sarkozy ou de Henri Guaino pour un jeune Résistant, par ailleurs communiste, fusillé par les nazis en 1941. L’on se demanderait s’il pouvait exister un lien - si secret et si infime soit-il - qui rapprocherait Guy Môquet d’une UMP s’enfonçant dans les contrées de l’intolérance et de l’intolérable. Mais l’on se demanderait encore plus comment, après un discours comme celui de Dakar, on peut trouver des affinités avec Guy Môquet. N’est-ce pas passer d’un pôle à son opposé ? N’est-ce pas faire semblant ? N’est-ce pas manquer de repères ? Lire la lettre de Guy Môquet aux lycéens, pourquoi pas ? En faire un devoir et lui donner un caractère solennel est une ingérence et un geste liberticide. Cela est une autre histoire et l’éducateur digne de ce nom doit refuser de l’enseigner. Honnêtement, cela équivaut, de par « l’émotion » dont la lettre est censée porter, à dédouaner la seule UMP, à lui faire une virginité.

Laide est sans conteste l’image aujourd’hui du pouvoir en place qui a besoin de liftings. Car, sinon, pourquoi aller chercher des valeurs humaines sur des contrées plutôt communistes. L’esprit d’ouverture du chef de l’Etat ? Surtout pas ! En vérité, l’enjeu est, d’une part, de ratisser large et, de l’autre, de minimiser le chaos dans lequel la politique sarkozyste n’a de cesse d’engouffrer son monde. Tout en prônant un discours de non-repentance, soi-disant pour ne pas s’interdire « d’être fiers » de la France, Nicolas Sarkozy, certes en homme « déculpabilisé », engage son pays dans la voie du chauvinisme, sans un rien de bonne apparence. Quand ce discours ose prôner la haine de la repentance, non seulement il fait table rase du passé colonial et de la critique de ce passé, mais il fait table rase du passé vichyste antisémite et interdit la mémoire. Cet écart, certains ne lui tiendront pas rigueur de le provoquer. Il est le fait toujours est-il des incohérences que lui aura fait accomplir son opportunisme. Chasser sur les terres du FN mène forcément à l’absurde.

Bref, ce serait contrevenir à l’esprit même de la lettre de Guy Môquet que de s’inscrire dans les perspectives inhumaines de l’actuelle UMP. Les professeurs - refusant d’avoir d’autres yeux que les leurs pour voir - ont tout simplement fait acte de maturité et d’indépendance. Autant laisser en effet les lycéens et leur candeur en dehors des calculs machiavéliques. Le devoir d’un éducateur est très certainement de dispenser un enseignement qui permette aux apprenants de déjouer les impostures de quelque sorte qu’elles soient. Le refus des enseignants d’assigner un piètre rôle à cette lettre est bien le signe finalement d’une conscience demeurée intacte.

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mercredi 3 octobre 2007

Cette guerre qu’on aime tant faire...

Article rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
Paru sur AgoraVox le 03 oct. 2007

« Vous avez dit "guerre", monsieur Kouchner, vous n’avez pas tort... »1. Tel est le titre d’un article paru le 24/09/07 dans la rubrique "Opinion’" du Figaro version électronique. A. Glucksman qui en est l’auteur s’étonne qu’un mot du chef de la diplomatie française suffise pour que « les encriers se mettent en ébullition » et que des chancelleries d’Europe occidentale s’appliquent à publier « leur désapprobation d’une façon fort peu diplomatique ». Il compte par là dédouaner le french doctor. Or, pour y arriver, il doit rappeler au monde l’exceptionnelle clairvoyance de celui-ci. Bref, démontrer - fût-ce au prix d’une grille déformante - que cette guerre est à faire.

A le lire donc, on n’avait qu’à prendre au sérieux « la crainte » de Bernard Kouchner - d’autant plus qu’elle découle d’une opinion longuement échafaudée sur la guerre. Crainte qui, soit dit en passant, est aussi la sienne propre. Tout comme celui-ci d’ailleurs, il cite les propos de Nicolas Sarkozy qui, neuf mois avant son accession à la présidence, lui confie, alors qu’il l’interviewe, dans quelle mesure la crise iranienne était « la crise internationale la plus grave actuellement ». Cela, dit-il - comme pour les prendre à témoin -, en présence de Yasmina Reza et de Pascal Bruckner. Il faut dire qu’à cette époque le futur locataire de l’Elysée comblait tous les fantasmes, de paix comme de guerre : l’essentiel étant qu’il donne corps lui-même à ses fantasmes électoraux. Tant et si bien qu’aujourd’hui certaines de ses opinions confinent à des promesses qu’il lui faudra ignorer ou honorer.

Glucksmann, tout en voulant croire encore que Nicolas Sarkozy n’a pas changé d’avis, rappelle que celui-ci avait lui-même prôné la « fermeté » devant les ambassadeurs de France réunis au mois d’août dernier à l’Elysée. En fait, il donne plutôt tout l’air de remarquer le "tort’" de Nicolas Sarkozy qui a désavoué si vite le catastrophisme de son ministre aux Affaires étrangères et qui est revenu sur ce qui aurait tenu lieu de promesse. C’est finalement attendre aujourd’hui du chef de l’Etat un appui indéfectible et compter sans les soins méticuleux qu’il apporte à son image.

Les déclarations de B. Kouchner ne sauraient que désavantager N. Sarkozy, devant l’opinion française et devant l’opinion mondiale. Le fait est que la question atteint tout à coup des proportions effrayantes alors qu’il n’est qu’au début de son mandat. Plutôt que de se laisser embarquer comme malgré lui, il se démarque de son ministre - toutefois sur la forme, non sur le fond. Un peu moins d’empressement et un peu plus de tact auraient mieux valu que l’alarme stridente qui a fait sursauter tout le monde. En tout cas, en empêchant de parler de guerre et en insistant de ne parler que de dialogue, N. Sarkozy inflige déjà à certains de ses amis ce qui s’apparente à un sérieux revers.

Y a-t-il vraiment lieu de se prévaloir de cette « fermeté » ? Glucksmann pense que oui : le moment est fort bien « calculé » et B. Kouchner n’avait qu’à jeter son « pavé dans la mare des non-dits ». A croire que le « nouveau philosophe » pense être le seul à pouvoir parler et comprendre un langage dénué « d’hypocrisie », d’avoir seul le courage d’appeler un chat un chat. Certaines expressions de nos jours, on en conviendrait, comme celle-ci, ont retrouvé une jeunesse expansive : grâce à elles, des plumes se joignent aux voix de certains politiques qui espèrent tronquer la bonne conscience de ses scrupules les plus justifiés. Les linguistes, les chercheurs en analyse du discours et en sociocritique en savent un peu plus sur ces arbres qui entendent couvrir la forêt. En tant qu’ « avant-garde » et bichonnés des médias, côté nouveaux philosophes, l’on est toujours frais et dispos pour venir décréter ce qui est sensé et ce qui ne l’est pas - comme, ailleurs, d’autres déclament leurs fatwas.

L’Iran se dote de sa bombe, il se prépare donc à faire la guerre au monde, à ses voisins tous confondus... Qui le voit ? Qui peut en parler ? Les éclairés le peuvent. C’est dans des termes d’ailleurs allégoriques et prétendument illuminés que Kouchner et sa logique guerrière nous sont présentés : « Lorsque le sage désigne la Lune, les imbéciles contemplent son doigt ». Retrouvons ici la formule nietzschéenne qui fustige l’idéalisme, reprise par Glucksmann page 229 dans son ouvrage Le Bien et le Mal : « voici ce que j’appelle l’idéalisme : apercevoir un lever de Soleil chaque fois qu’on allume une chandelle ». Les « imbéciles » sont, peut-on facilement traduire, la majorité dominante, la foule sourcilleuse, idéaliste, mais ignare et aveugle. Les éclairés, eux : les philosophes nouveaux, la minorité va-t-en-guerre et nullement hypocrite. Eclairés en effet mais, a-t-on envie de remarquer, par les seuls projecteurs que l’on braque sur eux.

Le danger est réel. La guerre inévitable. A. Glucksmann en est certain, qui en sait autant que Kouchner. Les experts l’affirment sans ambages. Encore « deux ou quatre ans » et l’Iran aura sa bombe : il y a « péril en la demeure ». Pourtant des calculs irréfutables et du réalisme dont il se targue, l’on ne retient qu’une vue approximative à la limite de la paranoïa, du doute et du spéculatif. L’on ne saisit dans ses "homélies’", pour éclairées qu’elles prétendent être, que les intérêts si évidents auxquels il est inféodé.

Son intention, tente-t-il de faire croire, n’est que d’éviter que l’Iran atteigne « le point de non-retour ». L’évidence, c’est cela... Il n’y a là rien de pervers. Pourquoi empêcher ce pays de se doter d’une telle bombe ? Mais parce que ceux de cette région du monde se tuent pour un oui et pour un non, ils stagnent encore dans un Moyen Âge du type européen. L’inquisition ! Parce que, d’autre part, il faut en finir avec cet idéalisme sot et naïf qui n’a pas empêché Hitler d’être Hitler ni le Goulag de sévir. En somme, Gilles Deleuze n’a pas tort qui, dans un texte écrit le 5 juin 1977, soutient : « ils [les nouveaux philosophes] vivent de cadavres. Ils ont découvert la fonction-témoin [...]. [Il] n’y aurait jamais eu de victimes si celles-ci avaient pensé comme eux, ou parlé comme eux » 2. Et de fait, ils mettent dans les moules hitlérien et stalinien tous ceux que leurs terribles préconçus leur désignent.

Force est de constater qu’ils investissent dans des stéréotypes, voire dans des concepts creux remplis ou grisés par leur intolérance. Il n’a tenu qu’à un fil que Glucksman ne lance à la face du monde : quiconque n’est pas issu de l’UE doit être renvoyé au Moyen Âge et, de ce fait, n’a droit qu’à des claques. Là en effet quelque chose grince que la pensée digne de ce nom ne saurait concevoir. On lui demanderait pourquoi alors priver l’Iran de son droit de sortir de son Moyen Âge, il répondrait : « c’est évident : il est capable de fabriquer la bombe atomique ». C’est dire à quel point le paradoxal, le racisme et le sectarisme peuvent faire bon ménage.

En Irak, « les Américains sont désemparés » : ils « affrontent un adversaire capable de tuer les siens à l’infini ». L’idée de Glucksmann est ainsi d’annoncer que le génie de certains ne tient que dans leur capacité à provoquer le chaos général. Lequel chaos est plus puissant que les hélicos et les tanks. Force d’un côté et monstruosité de l’autre : voilà qui est assez pour autoriser une guerre... contre l’Iran. Son raisonnement, à cet endroit précis, comme on peut le constater, exécute un saut, une pirouette, si l’on veut : il se connecte à n’importe quoi, pourvu que le ton garde sa gravité. La méthode, pour aller aux déductions escomptées, consiste à plaquer une séquence de l’histoire, un personnage de l’histoire, etc., sur un événement hypothétique. Du réel (ou ce qu’on veut faire passer pour du réel) appliqué sur de l’hypothétique, le tout noyé dans une parole délirante et sans vergogne, rend totale la confusion. Glucksmann, sitôt ses griefs contre l’Irak rassemblés au complet, part à l’assaut de l’Iran. Ne serait-ce que parce qu’il est susceptible de ressembler à l’Irak, l’Iran est sommé d’abandonner sa bombe ou, sinon, de préparer sa tombe. Les mollahs jusqu’aux plus modérés sont, selon lui, incapables de s’émouvoir. Ils sont à même d’immoler 15 millions des leurs « pour la gloire théologique [d’éradiquer] l’entité sioniste ».

Cette conclusion, fondée certes sur une crainte, mais surtout sur un cortège de préconçus, si elle augure le chaos, accorde aux envahisseurs, les alliés en l’occurrence, l’envergure de bienfaiteurs. La victime ? Tiens donc ! Elle n’a que ce qu’elle mérite. Sa résistance est folie et pur fanatisme.

Vous avez dit "guerre’", vous aussi M. Glucksmann, et aucune guerre n’est bonne à faire...

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  1. André Glucksmann, <>, lefigaro.fr
  2. Gilles Deleuze, <>, 1libertaire.free.fr

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vendredi 21 septembre 2007

Quand l’envie va au-devant des faits




Par Mohamed-Salah Zeliche
Paru sur AgoraVox
Le 21 Sept. 2007




L’appel dimanche dernier du chef de la diplomatie française à « se préparer au pire », par lequel il entend attirer l’attention sur le danger du programme iranien d’enrichissement d’uranium, a, dans la foulée, irrité certains et étonné d’autres.

Le dossier du nucléaire iranien se corse. Il donne déjà l’apparence d’un abcès qui tarde à crever. L’on en parle depuis un bon bout de temps. Après le mièvre Dr Douste-Blazy, c’est maintenant au dur Dr Kouchner de s’en occuper. Mais, brutale, l’intervention de ce dernier heurte plus d’un et à plus d’un titre. Tant en France que dans le monde ses propos suscitent de violents remous. En effet, appeler le monde à « se préparer au pire » a tout l’air de tenir d’une intention de guerre. Ce sont pourtant les mots de François Fillon, venant appuyer son ministre aux Affaires étrangères qui ont laissé supposer que la question achève de prendre une tournure dangereuse. Il y a tout lieu de croire que l’on tente cette fois-ci de déterrer pour de bon la hache de guerre. Car, sinon, pourquoi Fillon tient-il tant à « éviter la guerre » ? Si la guerre est loin, quelle est l’importance d‘insister de toute urgence sur l’épuisement de « tous les moyens diplomatiques » ? Autant d’interrogations qui augurent la guerre dans les perspectives françaises les plus actuelles : il y a fort à parier en tout cas que les envies du Dr Kouchner devancent bel et bien ses actes.

L’appel donc de Paris à « se préparer au pire » est aussitôt suivi de la réaction iranienne qui – par médias indignés – accuse le président français de se ranger du côté étasunien – c’est-à-dire et, selon Téhéran, du côté de la guerre. A travers Kouchner c’est la position de N. Sarkozy qui vient occuper le devant de la scène, lequel la République islamique croit reconnaître en lui un va-t-en-guerre. Des termes fortement connotés le dépeignent en tant que celui qui «imite les hurlements américains ». On en convient : il y a là plus qu’une allusion à son prédécesseur Jacques Chirac et son pacifisme durant la guerre d’Irak. Il y a là surtout, dans la vision iranienne, ce qui entend dénoncer l’absence d’une logique de paix dans la politique française d’aujourd’hui.

Le dossier du nucléaire iranien se révèle de loin plus délicat que ne l’a été celui de l’Irak. Tout en faisant craindre « le pire » à la communauté internationale, il laisse sceptique quant aux charges jusque-là retenues et quant à la réalité de la dangerosité, fût-il ce pays rebelle aux recommandations de l’AIEA et à la politique onusienne – politique en réalité de deux poids deux mesures. Tout le monde sait qu’Israël possède la redoutable bombe, mais que pour autant il n’est nullement inquiété. La diplomatie française loin de prêter d’importance à cet état de choses redouble d’imprécations à l’adresse de l’Etat islamique, appelle la communauté internationale à le mettre à genou. Rien n’y fait, du moins à ce stade de l’évolution des choses : les anathèmes de B. Kouchner semblent en deçà de réunir grand monde. Quelque chose tranche dans l’ensemble qui n’est pas clair. La ministre autrichienne des affaires étrangères tance son homologue français, trouvant incompréhensible sa « rhétorique martiale ». Certes B. Kouchner n’a pas que des contradicteurs et son homologue néerlandais, Maxime Verhagen, lors de sa récente visite à Paris, dit être d’accord avec lui pour réclamer de l’union européenne des sanctions même sans l’aval de l’ONU. Il n’empêche que l’âpreté du ton, la façon dont ils semblent vouloir bâcler le dossier, la pression qu’ils entendent l’un et l’autre faire subir à Téhéran, passent outre les examens en cours de l’AIEA , retire surtout toute crédibilité à l’institution onusienne. D’où l’impression très forte d’une démarche quasi solitaire.

Cette attitude loin d’être très diplomatique, vite remarquée par l’opinion, oblige B. Kouchner, aux dernières nouvelles, (non à revoir sa copie) à mettre un peu d’eau dans son vin. De là, l’apparence d’un retour à la raison : selon une information de l’agence Reuters, rapportée le 19/09/07 par Le Monde, il se dit prêt à « laisser le temps nécessaire » à l’AIEA, à se rendre, lui, à Téhéran, à « ne pas renoncer au dialogue ». Que de bonnes volontés ! Non sans laisser voir de l’exaspération, il juge pourtant que « […] ces discussions [diplomatiques] ne peuvent pas durer des années » ; il en appelle au président de la République qui s’est lui-même exprimé en ces termes : « sortir de cette terrible alternative, la bombe iranienne ou bombarder l’Iran ». Il n’y a pas trente six mille solutions… Accorder du temps à l’Iran selon le locataire du Quai d’Orsay c’est tout bonnement faire preuve « d’hypocrisie ». Le fait est qu’il s’est mis en situation de procès et qu’il lui faudra remettre de l’ordre dans ses déclarations précédentes – chose qui prend déjà chez lui l’aspect d’une habitude. Il doit, par exemple, s’expliquer au sujet de son alignement (terme qu’il rejette !) sur la politique américaine, qui, de toute façon, est révélateur des nouveaux rapports de la France avec le Proche et Moyen-Orient.

Dans de telles conditions, et dans la mesure où Israël est activement défendu, la Syrie comme l’Iran ne peuvent qu’être bombardés un jour ou l’autre. Il suffit qu’ils reprennent du poil de la bête pour qu’on cherche à les plier. Ils sont dans le collimateur des alliés qui, d’ailleurs, orchestrent toutes sortes de plans pour saper leur sang-froid. Aujourd’hui les dirigeants iraniens, comme hier sous Saddam les dirigeants irakiens, à plus forte raison sous la pression cynique des sanctions occidentales, n’ont de cesse de rappeler haut et fort le supplice des Palestiniens – voire de se présenter comme leurs sauveurs. L’on se souvient des récents propos tenus par Mahmoud Ahmadinejad, loin de plaire aux inconditionnels de l’Etat hébreu, Kouchner compris. La colère vite déchaînée, souvent scandée de déclarations antisémites/antiaméricaines, en est l’exemple le plus éloquent. Au train où va le matraquage médiatique, l’image du dirigeant iranien, et jusqu’à celle du simple citoyen, prend spontanément des allures « hitlériennes » qui laissent « craindre le pire » et en effet sabotent les perspectives de paix. En un mot, l’Iran n’a pas droit à l’erreur d’une démonstration de force à la Saddam : dans sa puissance prétendue, il y a déjà qui correspond parfaitement aux attentes de ses belligérants : ceux-ci trouvent là prétexte à leur alarmisme.

Franchement, qui aujourd’hui tourne le dos à la paix ? J’ai envie de dire : tout le monde.

Pour citer cet article :

Mohamed-Salah Zeliche, <>,
http://www.sentiers-sentiers.blogspot.com/

Ou

Mohamed-Salah Zeliche, <>,
http://www.AgoraVox.fr/article.php3?id_article=29346

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jeudi 13 septembre 2007

De l'écart auteur/narrateur dans l'Etranger d'Albert Camus

Article rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
Paru sur AgoraVox
Le 13 septembre 2007

Ceci est la version courte du texte intitulé "De l'écart auteur/narrateur dans L'Etranger d'Albert Camus". Une autre portant le même titre, plus longue et plus circonstanciée est disponible sur ce même site.


Parler aujourd’hui de L’Etranger semblerait désuet. Il n’en est rien : Camus suscite toujours un immense intérêt. Colloques et travaux universitaires, partout dans le monde, n’ont de cesse de le célébrer. Et l’homme et l’œuvre en effet ont été au cœur des tensions, sans doute les plus bouleversantes que l’histoire ait jamais eu à enregistrer. De là, en tout cas, mon intérêt pour l’écrivain et ma relecture de son texte.


Si l’on se réfère à Mikhaïl Bakhtine, ni les personnages ni leurs logiques ne doivent faire office de porte-parole, encore moins se substituer à l’instance créatrice. Car ils appartiennent au système narratif et, comme tels, censés s’associer aux réseaux descriptifs, aux strates qui composent le texte, à toutes sortes d’ingrédients. Leurs actions, pour antagoniques qu’elles soient, caressent une même perspective qui n’est que de tendre vers une signifiance générale. Or face à certaines œuvres, au nombre desquelles figure L’Etranger d’Albert Camus, cette conception est souvent abandonnée par la critique. De multiples raisons entrent en ligne de compte, dont nous rappellerons brièvement quelques-unes ci-après.


D’apparence simple et limpide, ce récit développe deux dialectiques contradictoires. D’une part, il donne l’air de pratiquer l’art de l’esquive, de prôner l’inadmissible à travers un narrateur apathique, soupçonneux, menant une vie dénuée de toute ambition, replié sur lui-même, peu enclin au partage et incapable de communier avec le monde. D’autre part - sur un plan plutôt auctoral -, il affiche une propension évidente à aller vers une parole sans fards ni préétablis. La vanité, l’excès d’autorité, les valeurs archaïques bourgeoises et religieuses se heurtent ici à une écriture qui les dénonce dans sa dérision. Autant de tendances significatives de gêne, de non-dits, de motivations obscures. Ainsi conçu de façon problématique tant par ce qu’il dit que par ce qu’il ne dit pas, le texte acquiesce et prête le flanc aux démonstrations subjectives. A tel point que certains croient reconnaître en Meursault le double parfait de Camus, mettent sur le compte de celui-ci un crime commis par un être de papier.


A partir de là, le sens de l’histoire racontée s’éloigne de sa vocation originale. Sens qui en premier lieu réside dans une pluralité de perspectives et entend répondre à une tension située en amont du projet d’écriture. L’objectif visé : montrer comment un ordre pétri de désinvolture peut déshumaniser et faire se replier dans la haine de soi et de l’autre. La période qui a donné naissance au récit, l’a inspiré à l’auteur, est saturée de signes. Les enjeux de la critique et ses nombreux préconçus, fréquemment mis en avant, estompent l’écart pris par Camus vis-à-vis de l’être colonial. L’on s’attarde ainsi si peu ou pas du tout sur les facteurs qui acculent à la désespérance ; l’on rend inenvisageables le programme comme les objectifs du récit. Cela, alors que cet écart est axial et doit être retenu particulièrement : l’analyse textuelle confirme sa réalité et le montre dans sa forme pluridimensionnelle. Il est de nature aussi bien technique qu’esthétique, psychologique, morale, idéologique, stratégique, voire caractéristique de la vocation libertaire de l’art.


A ce propos, et pour ne retenir que celle-ci, la vocation de l’art est de toujours s’affranchir de la société qui lui octroie ses moyens et ses prétextes. L’art peut même se défaire de la tutelle du créateur. Aussi étonnant que cela paraîtrait, celui-ci n’est en réalité que ce point de friction commun à la société et à cette tension que l’on dit originelle. Soit le lieu précis de l’éclat, de la déchirure, du fracas, de la douleur et en effet de la conscience. Non seulement l’auteur règle ses comptes avec la société mais, souvent et à son insu propre, avec lui-même - l’individuel et le collectif n’étant pas sans se refléter. Seuls donc triomphent le temps condensé et l’histoire : l’art nous exprime à travers les conflits qui nous opposent au monde et à nous-mêmes, à travers nos contrariétés, nos confusions, notre impuissance. Son authenticité, et peut-être aussi sa vérité, résident en cela : son indépendance. Il est dans cet écart que prend l’auteur vis-à-vis de sa société, échappant à l’un comme à l’autre mais non sans puiser préalablement dans leurs mésententes l’exigence d’une éthique ou les perspectives d’un compromis.


Quel autre sens donner à cet écart de Camus ? Il n’est pas seulement un recul vis-à-vis de soi ni seulement ce qui témoigne du peu de crédit accordé à l’institution coloniale. Sa réalité réside dans des espérances contrecarrées, consiste dans un souci d’esthétique et de message à faire passer sans avoir à courir aucun risque. Le fait de devoir se justifier un jour ou l’autre, la crainte possible d’être qualifié de renégat, crainte qu’on retrouve chez nombre d’écrivains, rendent difficile l’entreprise d’exprimer ses reproches avec franchise et netteté. Les silences et les non-dits représentent autant de pièces vacantes dans le puzzle de Camus que d’interdits à déjouer. La concision de L’Etranger lui prête d’ailleurs l’aspect d’une parole pressée de conclure, d’un essai préoccupé de mener à bon port la bonne parole. Se frayer un passage : voilà en fait un projet qui aura coûté à l’écriture camusienne bien des détours. Parce que ce récit est concis et condensé, il faudrait pour cerner toutes ses dynamiques se garder de s’en remettre aux commentaires univoques, en soi sélectifs, amputés et arbitraires ; ceux-ci focalisent les regards sur les traits déjà suffisamment grossis par l’œuvre. Or seule une démarche qui réunit l’ensemble des dimensions - historique, psychologique, psychanalytique, philosophique, sociale, culturelle, artistique, symbolique, politique - peut convaincre L’Etranger de laisser traduire les silences de son dire.


Cet écart n’exclut en rien que Camus puisse apparaître à travers quelques traits de ses personnages. Son paradoxe personnel, ses amitiés, ses inimitiés, ses peines, en réalité il nous les livre comme à son insu. Ce sont là des interférences qui par ailleurs sont de nature pragmatique et stratégique : elles visent essentiellement à agir sur le lecteur, à conférer au récit une vraisemblance et une lisibilité bien particulières. En donnant l’illusion que Meursault peut être son double, Camus de fait accentue la réalité des faits narrés - il leur arroge plus de crédibilité, les rend dignes d’intérêt. Le journal tenu par Meursault, qui n’est autre que le roman lui-même, représente quant à lui un des procédés narratifs donnant l’illusion que l’auteur s’investit dans son personnage. Et, en effet, à travers Meursault, figure de pied-noir fonctionnaire, comme Camus le fut lui-même, s’établissent de multiples connexions. Leurs reflets et ce qu’ils suggèrent de réalité amènent le lecteur à adhérer au programme de l’auteur. Auteur et lecteur, ensemble, partent ainsi à la reconquête d’un sens du monde posé d’emblée comme chancelant. Deux perspectives donc de l’auteur : frapper l’esprit du lecteur, l’inviter ensuite à conclure à l’absurdité des lois qui régissent le monde.


L’écart entre l’auteur et le narrateur tout comme leurs similitudes sont donc palpables. Mais que l’un et l’autre puissent sur quelques plans se renvoyer la même image ne doit pas accorder d’autonomie au second. Les actions de celui-ci n’ont d’importance que par rapport aux liens (de convergence ou de divergence) qu’elles tissent avec les actions des autres personnages. C’est dans ce qu’elles apportent au sens général et dans ce qu’elles provoquent d’interrogations morales qu’il convient de les saisir. Si entre les deux instances, la frontière ne manque pas d’être fluctuante c’est du fait que le récit, outre le souci technique de vraisemblance, rapporte une réalité historique tout aussi âpre que celle où l’auteur lui-même se mire et s’implique. L’on reconnaît ici le malaise bouleversant d’un personnage amené (par les circonstances imaginées par l’auteur) à perdre toute confiance en l’homme - au point d’accomplir un geste monstrueux. A travers lui se profile certes l’auteur, toutefois il s’agit d’un auteur désarçonné par la conscience d’un impossible compromis, par ce que la réalité vécue laisse présager de colères corrosives à venir.


Tout compte fait, la question posée, de par sa polyvalence et sa complexité, de par les nuances qu’elle permet de déceler et les contours qu’elle recommande de ménager au récit, n’indique pas de tenir Camus pour un fac-similé du personnage. Ni d’ailleurs de se cantonner dans l’idée d’un meurtre comme visée unique de L’Etranger. En effet, fût-ce par défaut, fût-ce parfois à l’insu de son auteur, celui-ci amène à regretter l’absence d’une notion essentielle : la justice.


Pour citer cet article :

Mohamed-Salah Zeliche, « De l’écart auteur/narrateur dans L’Etranger d’Albert Camus », http://sentiers-sentiers.blogspot.com/

Ou :

http://www.agoavox.fr/article.php3?id_article=28800/


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