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Ce blog contient mes articles. Mais aussi des commentaires sur mon ouvrage "L’Écriture de Rachid Boudjedra". Ici, je réagis à l'actualité, partage mes idées et mes lectures. Mohammed-Salah ZELICHE

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dimanche 27 août 2006

"L'Ecriture de R. Boudjedra..." lu par Eleonora Hotineanu

NOUVELLE CONTRIBUTION A L’ESPACE LITTERAIRE
FRANCOPHONE DU MAGHREB,

Article rédigé par
par Eleonora Hotineanu
paru dans EUROPE, avril 2006
Mohammed-Salah Zeliche, L’écriture de Rachid Boudjedra : Poét(h)ique des deux rives, Paris, Karthala, 2005, 360 pages.

L’étude de Mohammed-Salah Zeliche vient rejoindre les nombreux ouvrages consacrés à Rachid Boudjedra. Dans une réalité prise au piège du temps et du contretemps, l’œuvre de l’auteur algérien constitue un exemple éloquent de crise, tant de la pensée que de l’esthétique. En s’assignant pour tâche délicate d’appréhender le dédale boudjedrien angoissant, le critique enrichit de sa propre voix le débat déjà mis en place par une pléthore de travaux universitaires et journalistiques.

L’écriture de Rachid Boudjedra, éclaire de proche en proche et de façon si méthodique les zones mystérieuses et ombragées du texte boudjedrien, le critique y repère d’insoupçonnables dichotomies. Ainsi, à titre indicatif, l’entrechoquement de deux entités hétérogènes, l’Orient et l’Occident, la modernité et la tradition, se révèlent-ils du coup évident dans « les discours irréductibles », dans la « poét(h)ique des deux rives » et l’écartèlement de Rachid Boudjedra. En maniant avec dextérité le verbe, mais aussi en recourant tant habilement que prudemment à la psychanalyse littéraire, M.-S. Zeliche donne corps à la métaphore freudienne.

L’historique et le psychologique, l’esthétique et l’idéologique, le thématique et le mythologique, notions de temps et d’espace – tels sont certains des paramètres selon lesquels s’organise l’écriture zelichienne. Parti à la recherche d’un repère identitaire à travers les nombreux textes romanesques de Boudjedra, sans d’ailleurs négliger les essais politiques et/ou idéologique de celui-ci, le critique en vient à évoquer les différentes dimensions de l’identité : identité sociale (idéologique), identité politique (nationale), identité artistique (esthétique), identité d’appartenance, identité de valeurs, etc.

M.-S. Zeliche ‘‘dévisage’’ sans ménagement le portrait dressé par R. Boudjedra d’une société patriarcale située aux confins d’un monde et d’un temps en décalage totale avec la modernité ; et comparativement il fait appel à l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, de Claude Simon ou de Gabriel Garcia Marquez pour montrer la nature ô combien inspirée du romancier contestataire. Le rapprochement thématique et stylistique en effet entre l’œuvre de l’écrivain algérien et les textes étrangers, loin de constituer un plagiat, représente pour le critique plutôt une réécriture et une façon de s’entretenir avec les œuvres – au total, ces croisements apportent la preuve du caractère universel et contemporain du regard boudjedrien, ils placent la société patriarcale en situation de procès et la somment de faire sa psychanalyse.

La « composante célinienne » apparaît dans l’œuvre de R. Boudjedra à travers « une vision nihiliste » portée sur la société arabe en général et celle algérienne en particulier, les stigmatisant par une parole anarchique, voire farouchement contestatrice ( Le Démantèlement, L’Insolation, Le Désordre des choses ). Le recours à l’ironie, à l’humour noir, à l’exaspération amplifie indéniablement la « voix tonitruante » de l’écrivain, dont on peut voir qu’il privilégie les thèmes de la « pervertibilité du corps » et du « Temps ». Ainsi, cette « composante célinienne » chez Boudjedra serait-elle de « l’ordre du pathologique » – c’est-à-dire négative et dont l’entreprise (de nature jubilatoire) consiste en réalité à libérer le seul auteur. Elle « contraste avec une façon de raconter timorée, rentrée, sévèrement censurée d’une tradition littéraire algérienne », affirme M.-S. Zeliche qui voit là en outre un travail de démantèlement d’un ordre premier ancien.

Claude Simon est lui « l’inspirateur du thème de la conquête », conquête d’une « identité de valeur » au détriment d’une « identité d’appartenance ». Tout un lexique similairement structuré impulse aux récits des deux auteurs d’identiques logiques : « l’arbre », « le jaune et le noir », « l’oiseau », « la flèche », etc. Des titres d’une telle parenté – La Bataille de Pharsale (C. Simon) et La Prise de Gibraltar (R. Boudjedra) ne peuvent semble-t-il déclencher que « des thèmes, des symboles et une dialectique comparables ». Et le critique en montre admirablement le fonctionnement.

Cent ans de solitude de G. Garcia-Marquez, « inspirateur de la reconquête des Mille et une nuits » et Les 1001 années de la nostalgie de R. Boudjedra affichent d’évidentes affinités. Outre la similitude des thèmes (la « solitude », la « nostalgie »), outre les « équivalences » impressionnantes entre les personnages, les deux romans ont certes puisé dans « la substance essentielle », le fantastique, de ce monument de la littérature arabe qu’est Mille et une nuits.

Un comparatiste doit être sans doute plus soucieux de mettre en relief les différences entre le texte récepteur et son modèle, le prototexte. Mais ici, dans le cas du critique, il est plutôt réjouissant, parfois, de constater le contraire. Ainsi, Mille et une nuits, patrimoine certes arabe mais mondial et humain, devient le support commun et de base aussi bien pour G. Garcia-Marquez que pour R. Boudjedra et plaide pour l’universalisme. Cette fois-ci, le mythe fait volte-face dans les deux œuvres, il est dur, il résiste, mais il donne le prétexte aux auteurs de soutenir qu’il « détermine les désenchantements ». Aussi bien l’écrivain colombien que l’algérien, en revanche, restent les irréductibles adversaires d’un impérialisme dévastateur, d’une modernité brutale, sans âme, désacralisante et qui défigure, uniformisante, dépersonnalisante…

L’intertextuel est localisé également dans « la résurgence » de quelques figures mythiques – Ulysse, Circé, Perséphone, Hélène, Héphaïstos, Gaïa, etc., ainsi que dans l’évocation de certaines sources « soufies » : Ibn’Arabi, Halladj,Chahrawardi, etc. Susceptible de générer « une allégeance au nouveau », l’intertexte se propose de réduire « le décalage » vis-à-vis du « Nouveau » et de donner crédit aux thèses de l’auteur.

Illustré par des schémas psychanalytiques, appuyé par une documentation sérieuse quant au contexte actuel, historique et littéraire de l’Algérie, l’ouvrage de Mohammed-Salah Zeliche dépasse, cependant, les frontières d’une simple exégèse. Le texte vire parfois au pamphlet : la parole « courroucée » et « sans partage » de Boudjedra est conçue de telle manière à pouvoir susciter par moment un ton de virulence dans l’essai zelichien. L’étude, tout comme, d’ailleurs, l’œuvre prolifique de son inspirateur, constitue une contribution réellement importante à compter désormais dans le palmarès littéraire de la francophonie maghrébine.


Par
Eleonora Hotineanu



Pour citer cet article :

Commentaire de L'Ecriture de R. Boudjedra. Poét(h)ique des deux rives par Eleonora Hotineanu
http://sentiers-sentiers.blogspot.com/





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