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Ce blog contient mes articles. Mais aussi des commentaires sur mon ouvrage "L’Écriture de Rachid Boudjedra". Ici, je réagis à l'actualité, partage mes idées et mes lectures. Mohammed-Salah ZELICHE

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samedi 28 janvier 2023

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LE DICTATEUR














LE DICTATEUR
A la mémoire de Gabriel GARCIA MARQUEZ, ce texte modeste mais dans la veine de L’Automne du Patriarche. C’est la réalité algérienne qui me l’a inspiré, dicté, recommandé. Je l’ai extrait d’un livre à paraître.


 

Par
 
Mohammed-Salah ZELICHE



À tant travailler à imposer son ordre au peuple le dictateur instaure le règne du désordre et court vers sa déchéance sans presque s’en rendre compte, à ce point que toutes sortes de bêtes en sont arrivées à envahir le palais présidentiel, passant nonchalamment d’un bureau à l’autre, comme si le lieu paraît indiqué pour servir d’étables, les chèvres broutant la paperasse trouvée sur les bureaux et les étagères, les ânes renversant de leurs mufles les vases de chines, les vaches arrachant de leurs cornes les somptueux rideaux, mettant partout leurs bouses chaudes, fumantes et odorantes sur les tapis ramenés de Perse, tout se passe comme s’il n’y a personne pour trouver à redire, car le dictateur a décidé de donner carte blanche à ces bêtes, qu’il aime et qu’il protège comme des amis et des parents, il a avec elles des liens d’affinités bien supérieurs à tous ceux que sa longue vie lui a fait faire avec les créatures humaines, la condition animale le fascine, à ce point que l’envie le prend d’obliger ses administrés à ressembler à ses bêtes, à avoir les mêmes penchants naturels pour le laxisme et l’indolence, il trouve que ses sujets sont tellement désordonnés qu’ils ne ressemblent pas à ses bêtes, il voudrait les voir vivre sans souffler mot, se contenter de vivre, de manger, de déambuler et de déféquer sans chercher à se compliquer la vie par des questions politiques et philosophiques, car, lui, quand il entend poser des questions il a tendance à chercher son arme, à demander la présence des gendarmes, mais taisez-vous ! ce qu’il tient en haute estime ce sont ses chèvres aux longs poils drus, ses ânes toujours souriant et montrant leurs grandes dents, ses vaches aux ventres alourdies qui semblent somnoler ou penser à des choses dont il ne devine jamais la nature, et bien d’autres espèces animales qui l’ignorent quand ils le croisent dans les couloirs, les bureaux, les salons, les balcons, les jardins, les rues, les champs, contrairement au peuple dont il ressent de loin l’hostilité, lequel ne le trouve pas assez légitime pour haïr qui que ce soit, pour le haïr lui avec autant de morgue, non il n’a pas la légitimité suffisante pour le battre comme il le fait, l’appauvrir, le pousser à l’exil, l’enfermer dans les prisons, lui interdire d’aller à droite plutôt qu’à gauche et vice-versa, ce peuple il le haït si fort qu’il ne lui accord guère le droit de vivre après lui, fût-ce pour lui ériger un mémorial élogieux, de grandioses pyramides, une mosquée au minaret aussi haut qu’il peut toucher les nuages et tutoyer la lune, une mosquée sans limite à son nom, la plus admirable que l’histoire ait jamais compté, ce, malgré ses quatre-vingts ans passés, malgré ses vieux os qui ne savent plus comment porter son corps lourdement usé, malgré ses vieux jours qui se demandent où le déposer pour qu’il rende l’âme, alors que le palais présidentiel sent déjà le cadavre, la bouse de vaches, les poils de chèvres et qu’alentour, à dix mille lieues, on se bouche le nez, alors que les marées humaines grossissent dans les rues et menacent de venir le sortir de là, le remplacer…


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