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Ce blog contient mes articles. Mais aussi des commentaires sur mon ouvrage "L’Écriture de Rachid Boudjedra". Ici, je réagis à l'actualité, partage mes idées et mes lectures. Mohammed-Salah ZELICHE

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jeudi 13 septembre 2007

EXTRAITS

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mardi 7 novembre 2006

Philosophie et littérature. Des endroits de leurs articulations

Article rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
Extrait

Philosophie et littérature : voilà deux aires que rien ne semble rapprocher. Or le 20ième siècle est à peine arrivé qu’elles vont se mettre à multiplier les occasions de rencontre. Ayant d'emblée en commun le langage et le souci de cohérence, elles ne peuvent que se vouer à des échanges fructueux. Côté philosophie, tandis que rien n’était plus dérisoire à son principe de pensée pure que l’irréalité, on s’est mis à fréquenter volontiers les œuvres fictionnelles. L’on s'accorde à dire, finalement, que la littérature est susceptible d’exprimer l’existence dans son envergure la plus variée et la plus large – preuve en est la difficulté de lui assigner des limites. Et lorsque la pensée lui est un allié naturel, cette même littérature fait montre de prendre en compte l'intégralité de l'expérience humaine, n'occultant rien que l'analyse ne prétende pouvoir restituer. Autant dire que la philosophie qui aime à braver la complexité ne saurait trouver objet d’étude plus digne d’elle.

Vers une re-connaissance
La séparation univers poétique/univers des idées participe d'une tradition ancienne. Soit d’une tendance exclusive à dire le monde : celle-là qui mise tout sur la réflexion sans montrer beaucoup d’égards à l’intuition – ni d’ailleurs à la sensibilité qui est une réalité de l’homme inséparable du monde. Les poètes, aiment à répéter certains, rendent compte de leurs créations avec moins de justesse que ne sait faire leur auditoire. Ils appréhendent l’univers sur d’autres plans que ceux célébrés par les philosophes – principalement sur le plan subjectif. Platon les juge d’autant plus dissipés qu’assez peu scrupuleux de dire la vérité, aussi ne peut-il les cantonner que dans la ‘’nébulosité’’ de leurs fictions. A cet ostracisme, la raison n’accorde guère de caution, d’autant plus que pour lui les poètes tireraient leur parole du souffle insidieux de certaines divinités. De quoi surprendre des philosophes que l'emprise du mythe soit à ce point forte sur l'auteur de La République. Alain Badiou, philosophe, dramaturge et romancier, dit à juste titre dans un article accordé au Magazine littéraire :

« Il est obscur […] que le styliste Platon, l’homme de ces grands poèmes en prose que sont les mythes où il nous raconte le destin des âmes au bord du fleuve de l’oubli ou les chevaux noirs et blancs de l’action, s’en prenne avec une si rare violence à l’imitation poétique, au point de déclarer à la fin de La République que de toutes les mesures politiques qu’il préconise, la plus importante est le bannissement des poètes »

Eût-elle été disqualifiée et appelée longtemps à désavouer ses ‘’délires’’, la poésie pour autant ne continue pas moins à susciter l’intérêt. Elle fait figure de hardiesse – et par là, de génie –, tant et si bien que l’engendrement de la littérature finit par se produire. Elle fera exploiter pour son compte les ressources de la réflexion et verra ainsi se multiplier les études pour cerner son essence, révéler ses non-dits, dire son rôle, expliciter ses pouvoirs et ses fonctionnements.

Les mots ne sont pas aussi creux qu’on les pense, loin s’en faut, pétris donc de chair, innervés et témoins sensibles des rapports au monde de l’homme. Leur subjectivité leur confère d’inestimables potentialités ; en ce sens qu’ils appréhendent jusqu’au temps lui-même. Transhistoriques, ils véhiculent la conscience des hommes, relaient les générations, impliquent dans l’en-devenir, actualisent continûment les horizons d’attente. Partant, ils arrogent au langage un pouvoir tout à la fois d’exploration, de connaissance et de conquête. A ce dynamisme, et ce côté vivant, l’art doit en somme d’affirmer sa perception particulièrement fine.

En règle générale, on affilie volontiers l’esthétique à la littérature, la rigueur et la logique plutôt à la philosophie. Encore qu’on postulerait aisément qu’à l’esthétique contribue la rigueur et qu’à la rigueur participe l’esthétique. De là, dans un cadre argumentatif et un but strictement démonstratif, le souci nécessaire des philosophes pour la forme que doivent prendre leurs propos. Selon que l’on est philosophe ou poète, l’influence provoquée sur le lecteur n’est jamais de la même nature.

A cet effet, la littérature, dont le discours est en principe estimé pour lui-même, doit faire acte d’originalité. Cela, au même titre que la philosophie qui, elle, est appelée à prendre le parti de l’universalité et de la neutralité des idées. Il n’est rien qui retienne plus l’attention des philosophes que l’élaboration des concepts. La volonté de donner leur propre conception du monde c’est cela manifestement la seule originalité qu’ils admettent, recherchent et revendiquent – mais c’est cela qui élève leurs travaux au rang de la création, les plaçant au-dessus du banal et du commun quotidien.

La littérature, pratique éminemment artistique, comme telle expression de l’homme et tout à la fois témoignage de son exceptionnelle sensibilité, est (face au monde, face à l’histoire, aux changements sociaux et d’opinions…) en perpétuelle évolution, donc difficilement définissable, tranchant toujours est-il avec la philosophie qui ne veut se reconnaître que dans l’immuable. Elle contourne le réel, le subvertit, le transforme, le transcende... à la différence de la philosophie qui ne transige guère pour cerner son essence. Différentes sans doute quant à leurs approches du monde mais non sans que toutes les deux aient une même visée : s’interroger sur l’existence et l’homme et le mystère qui les entoure. Voilà qui d’un point de vue interdisciplinaire et cognitiviste pourrait présager de découvertes fructueuses. De là en effet l’importance de plaider pour une pensée encyclopédique et l’intérêt remarqué aujourd’hui de désenclaver les disciplines.
A suivre….

Ci-après quelques uns des thèmes traités dans le cadre de cette recherche :

La philosophie au temps de la Grèce antique
  • La question de la vérité
  • Le clivage poésie/philosophie
  • La pensée encyclopédique (Aristote)
Au siècle des Lumières
Les lois de l’esthétique
Au départ était la perception
Mythe et réalité : une même textualité
  • René Girard, Claude Lévi-Strauss…
La grammaticalité comme accès à la vérité
  • Ferdinand de Saussure, Noam Chomsky…
Jacques Derrida
Michel Foucault
  • La liberté à l’aune du langage de la folie
  • Capture de la parole
  • L’auteur du discours : une simple fonction
Henri Bergson
  • Chair des mots et conscience du monde
Création artistique et humanisme
  • Sartre vs Camus
  • Etc.
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Pour citer cet article :
M-S. Zeliche
http://www.sentiers-sentiers.blogspot.com/

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lundi 28 août 2006

Un lecture du temps dans l'oeuvre romanesque de R. Boudjedra

Rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
Paru dans la revue CELAAN
Numéro spécial intitulé Le Maghreb postcolonial
Vol. 2, Nos. 1-2, Summer/Fall 2003

Extrait

Le temps, qu’il soit source de plaisir ou source de déplaisir, confère à l’individu la conscience de soi et du monde, justifie de la pensée et du type de regard. En effet, le monde est en soi comme on est dans le monde. L’être tangue au gré des événements puissants, au gré du temps. On est souvent atteint dans son intégrité, déchu de son droit à être – pleinement. Tout comme d’ailleurs les choses corrodées/corrompues qui interpellent le regard, tout en évoquant le tumulte de l’existence humaine.

Cette plénitude, à juste titre, a été l’objet de quêtes d’une littérature algérienne post-coloniale marquée par un sentiment notoire de désillusion ; en fait, par la conscience de l’inexistence d’horizon : on ne voit pas venir l’indépendance (encore moins la liberté et l’identité qui perdent chaque jour de leur consistance) que la fin de la guerre (1962), et longtemps le discours de l’homme politique, promettaient à cors et à cris.

De fait, l’absence de plénitude, et le caractère jouissif des textes littéraires souvent violents, témoignent des épreuves de l’individu, de l’existence de tunnels et du désir (une écriture désirante) de trouver une issue. Ainsi en est-il de la période post-coloniale, de la notion de temps, chez R. Boudjedra, justifiant du ton qu’adopte sa parole et des structures qui fondent son œuvre. C’est là une tendance à rechercher éperdument un sens plein et/ou une cohérence.

Merleau-Ponty, dans
Phénoménologie de la perception, dit : « […] sans elle [la subjectivité], le passé en soi [n’est] plus et l’avenir pas encore […] » (278). En cela, l’œuvre de R. Boudjedra représente une vision des plus subjectives ; par là, elle rend compte du temps, le ponctue et, tout à la fois, atteste du malaise d’un sujet confronté au désordre, voire à un présent déficient.

Présent allégorique
Dans Le Désordre des choses (1991), R. Boudjedra fait le constat et le bilan de ce que trente années d’indépendance ont pu charrier de désordre. Au départ, les effets de scènes – au moment et juste après les émeutes du 5 octobre 1988 – sur le narrateur, médecin de son état, qui n’en revenait pas de tant d’atrocités et de devoir rafistoler sans arrêt, à la hâte, les corps défigurés, démantibulés, déchiquetés qu’on ramenait à l’hôpital.

La simple rencontre du narrateur avec son frère Zigoto, qu’il ne semble pas porter dans le cœur, dans une atmosphère de carnage, suffit pour que la conscience déferle dans le temps et l’espace et que des personnages d’horizons divers, liés les uns aux autres et indissociables, car faisant partie du trou noir de l’imaginaire, se mettent à dire l’histoire familiale, celle de la société et celle du pays. Du coup, les strates se précisent : période pré-indépendance, période post-indépendance, période actuelle à l’écriture du récit.

Par un effet de glissement, le passé se rapproche du présent. Les causes de la dégénérescence deviennent évidentes. Elles tiennent de la période pré-indépendance et se justifient d’un imaginaire et d’une mentalité qui n’ont pu rompre avec le machisme. Ce lien, que la guerre de libération ni l’indépendance n’ont pu altérer, est à l’origine de la condensation des éléments de l’atmosphère. Cette condensation, elle-même, provoque et le phénomène météorologique de l’ombre et le phénomène géologique du séisme dont les secousses font s’écrouler l’édifice de trente années d’indépendance. Ceci pose le temps comme la dynamique puissante de la narration. Et celle-ci, du coup, au même titre que le temps, est portée à une dimension allégorique. C’est dire la correspondance frappante entre les phénomènes météorologiques, géologiques et sociaux, tous auteurs du pourrissement – et du désordre des choses. Le Désordre des choses est ainsi l’expression de la démesure où l’ordre est bafoué parce que chacune des entités formant le monde agit pour son propre compte, sans souci de cohérence universelle. Aussi, le présent, trente années après l’indépendance du pays, sent-il le formol, l’éther et le sang (
Le Désordre des choses 17) ; il se repaît de viscères, de caillots et de pus (18), et patauge dans le sordide. Il règne une impression de désastre qui met dans un état d’hallucination, de surexcitation et fait s’accumuler l’angoisse (37). Une atmosphère de fin du monde ! Pourtant les journaux continuent à paraître (caractère désinvolte du temps) et à se comporter comme s’il s’agissait seulement du passage d’un orage. Trente années d’indépendance donc, pendant lesquelles a fermenté le germe de la violence et de la rancune, au bout desquelles la vérité explose en plein jour.

Le mensonge, désormais, n’a nullement de prise sur les esprits. Les idéologies, à la longue, ont rendu à jamais moribondes les valeurs. La limite du supportable est atteinte. Enfin le temps de l’affrontement est là, celui du désordre des choses aussi, qui, dialectiquement, arrive à porter le pourrissement à son paroxysme, « saccageant tout et remettant en cause tout, y compris cette situation météorologique totalement anormale qui déboussolait les soldats, les manifestants et … les oiseaux dont je sentais poindre l’inquiétude » (125). Ce pourrissement est la matérialité de phénomènes à la fois humains et climatiques. Ainsi quand l’autorité, le pouvoir et le jugement solitaire écrabouillent l’homme, le soleil en fait autant avec la nature et le paysage qu’il achève de pourrir, de réduire en poussière et d’anéantir.

C’est là le temps arrêté signifiant l’existence en crise. R. Boudjedra, à travers une poétique des séismes et des éclipses, situe, en fait, le monde aux confins du temps et de l’existence humaine – pour le recommencer. C’est en ce sens que l’Humanité « réagissant contre la terreur de l’Histoire avec une force que seul l’extrême désespoir peut susciter », souvent, à travers les siècles, a repris l’idée d’un pourrissement et d’une Fin du Monde imminente, tel que le précise Mircea Eliade dans
Aspect du mythe (91). A croire, en effet, que l’auteur veut hâter la fin de ce temps devenu par la force des choses anti-temps, qui mine l’existence, pourrit le monde et tue le présent. Ce désir est tel qu’on doit se décharger du fardeau qu’il représente. Et c’est alors que la pathologie prend place dans le récit dictant au narrateur le ton de la hargne et du ressentiment.

Temps et anti-temps
Déjà, dans La Répudiation, on peut voir la hantise de Zahir, frère du narrateur, Rachid, par l’idée lancinante de l’existence mystérieuse d’un fœtus. Le projet d’élucider l’énigme de celui-ci couve en lui comme une espèce de préméditation d’un crime ou d’un attentat. Le mythe du fœtus est, dans ce récit, chez ce personnage, perçu dans sa consistance temporelle. Il révèle l’intention d’empêcher le naissant de naître et dévoile les visées de l’auteur de contrecarrer le déjà existant érigé en anti-temps. C’est là le désir puissant de remettre en question le caractère continuel et transmissible de la tradition. Le temps est là perçu dans sa dimension physiologique et biologique, en tant que malaise du personnage. Celui-ci, en effet, ne peut penser à la monstruosité des hommes et la misère du monde sans que le lieu originel de la vie ne l’interpelle et n’apparaisse comme le véritable responsable.

La vie, ainsi, pour Zahir, s’inscrit dans un processus de dégénérescence absolue. Est-ce là le signe de la conception du monde nihiliste de R. Boudjedra qui prête au sexe féminin le caractère d’une blessure et le situe comme l’endroit où prospère l’infection ? Rappelons, ici, l’image récurrente du sang et de la blessure, origines du traumatisme et de la castration du narrateur boudjedrien, principalement celui des toutes premières œuvres. Ainsi en est-il de l’association que faisait le narrateur entre la gorge du mouton de l’aïd et le sexe moite des femmes (
La Répudiation 195). L’existence d’un anti-héros (Zahir), et d’un anti-temps qu’incarne le fœtus/naissant, en tout cas, n’exprime que très fort le rejet des valeurs héritées des générations passées.


[Voir la suite dans CELAAN Review, USA, Université de Skidmore, Numéro spécial intitulé Le Maghreb Postcolonial, Volume 2, n° 1-2, 2003, pp. 102 - 119].



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L'altérité. Une transcendance dibienne des paysages voisins





















Rédigé par
Mohamed-Salah Zeliche
Paru dans DALHOUSIE FRENCH STUDIES
N° spécial intitulé : Identité et altérité dans les littératures francophones
Volume 74-75 Printemps-Eté 2006

Extrait

Elle [l’oeuvre] est dite riche ou pauvre au regard de la culture qui la compare aux autres œuvres, qui en tire ou non un accroissement de savoir, qui l’ajoute au trésor national, humain, ou qui encore y voit seulement un prétexte pour parler ou pour enseigner. Maurice Blanchot, L’espace littéraire, Gallimard, 1955, p. 268.

A l’indépendance de l’Algérie déjà, la question de l’identité, de surcroît l’identité individuelle, ne se pose plus que dans un concert des voix les unes toutes discordantes des autres. Ce, contrairement aux années d’occupation coloniale où toutes les tendances fusionnent pour répondre au mot d’ordre d’unité nationale. Dès lors donc que le destin n’est plus commun/communautaire, on a pu voir se développer chez nombre d’intellectuels une pensée nouvelle et renouvelée ne jurant que par la notion d’autonomie.

Forcément alors, le ‘’je’’ s’interdit tout manque de délicatesse ; il doit être à même de se frayer un passage dans le tumulte intarissable des discours dérisoires, voire irréductibles. A l’origine de ces discours, il va sans dire, étaient la rancœur et la démesure, non la pondération. Le souvenir de l’atroce guerre de libération, constamment présent, sinon incessamment entretenu, devient pour beaucoup un réel fonds de commerce. Aussi l’être algérien se confine-t-il inéluctablement dans le malaise, confronté aux sentiments confus et aux contradictions. D’où l’urgence pour des romanciers de se justifier et/ou « voir plus clair ». Cette expression d’ailleurs, Dib la reprendra dans plus d’un récit. Elle représente au reste le mobile sinon l’argument indubitable à tous ceux qui ont à cœur de repousser toujours plus loin les frontières. L’émancipation individuelle campe ainsi au centre des récits non pas seulement en tant que thème de prédilection mais comme prétexte à débattre et comme cheval de bataille.

Voir plus clair, et en soi, au premier chef, faut-il préciser. Descendre aux tréfonds de l’imaginaire tant collectif qu’individuel – pour « comprendre ». Par suite, le dire s’impose une sorte de silence et de mystère. Et l’écrivain offrira l’apparence de tracer une limite entre un soi et un autre, d’élever le donjon du moi à la mesure de sa suprême ambition. Dib, quant à lui, en tout cas, à l’aube même de l’indépendance de son pays, entamera une œuvre nouvelle aux contours d’un secret et au charme voilé quasi inviolable. Or, justement, pour paradoxal que cela paraisse, il se trouve qu’il y a là ce qui participe d’un principe fondateur d’éthicité. L’humain et le souci de l’autre en sont fort redevables, nul doute. Car, malgré le monde épouvantable auquel l’œuvre prête sa résonance, Dib n’a d’autre rôle que celui d’aller au fond des choses, d’autre perspective que celle d’un homme solidaire du monde – celle d’une fratrie large et dont l’espace tient « hors des murs ». Monde qu’il intègre en lui, réhabilite et réintègre tout à la fois.

Deux récits sont à ce titre révélateurs : Qui se souvient de la mer (1962) et Cours sur la rive sauvage (1964). Là, Dib s’engouffre dans ses songes ; les galeries de l’être ainsi que leurs obscurs recoins le conduisent forcément à filer la métaphore d’une parole remarquablement humaine – affranchie notamment de la toute-puissance des préjugés.

Hors des murs : l’espace dibien
Qui se souvient de la mer…telle pourrait être une question préjugeant d’une expérience ou d’une connaissance : d’une part, la mer au regard du narrateur auteur serait sinon absente du moins distante ; d’autre part, à un stade avancée de l’évolution des choses, se rappeler avec netteté de ce qui est de la nature des bouleversements et du cauchemar, ne relève désormais plus de l’évidence.

Quand bien même on saurait que personne ne s’en souvient plus très bien, et malgré la résistance de l’être à emprunter les sentiers scabreux et les dédales obscurs/obscurcissant, il valait donc la peine de se la poser cette question. Elle autorise le réinvestissement de soi, les retrouvailles avec cette espèce de sensation d’un monde stratifié voire cloisonné dont on ne sait avec exactitude qui du réel et du rêve lui confère son air endiablé. Elle participe à l’idée de mesurer la distance entre le soi et l’autre, l’être et le non-être, le sens et le non-sens, etc. ; partant, de dire si désormais l’espoir est permis ou non. Le tout donc, est de situer le sommet atteint par l’horreur, de dire le cauchemar et l’inqualifiable expérience de l’aliéné. Ce faisant, Dib aura donné corps, malgré l’apparente contiguïté, à l’écart astronomique entre le ‘’dessus’’ et le ‘’dessous’’ ; il aura surtout suggéré l’idée d’un monde où l’horreur cède à la volonté de paix. Il suffit, pour cela, chaque fois qu’un « chant sourd » ou un « brisement » parviennent à nos oreilles, de songer et de se souvenir…de la mer/e.

Ce titre en lui-même est l’indice et le jalon tant de la pensée que du cours des événements. En l’occurrence, il préfigure la distance astronomique à ce jour parcourue et cependant la fin du naufrage et/ou de l’odyssée : à l’issue du récit, on a l’impression que le narrateur est finalement parvenu à la frontière du cauchemar, laissant loin derrière lui la résonance sourde d’un monde fou. Visiblement, il n’en reste plus de son expérience traumatisante que d’épais nuages et de pâles souvenirs – forcément –, arrêtés néanmoins en un temps dont il faut bien maintenant remonter courageusement le fil pour s’affranchir de ses démons.


[Voir la suite dans l'ouvrage collectif Identitité et altérité dans les littératures francophones, Dalhousie French Studies, Volume 74-75 Printemps-Eté 2006, pages 157 à 171].


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