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Ce blog contient mes articles. Mais aussi des commentaires sur mon ouvrage "L’Écriture de Rachid Boudjedra". Ici, je réagis à l'actualité, partage mes idées et mes lectures. Mohammed-Salah ZELICHE

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mercredi 24 novembre 2010

ZELICHE (Mohammed-Salah), L’écriture de Rachid Boudjedra. Poét(h)ique des deux rives Par Claire RIFFARD



ZELICHE (Mohammed-Salah),

L’écriture de Rachid Boudjedra. Poét(h)ique des deux rives

Par
Claire RIFFARD

L’ouvrage de Mohammed-Salah Zeliche se présente comme une analyse de l’écriture du romancier et essayiste algérien Rachid Boudjedra. En réalité, il s’agit davantage d’un parcours de réflexion et de confrontation avec une œuvre pétrie d’ambiguïté, qui se trouve ici convoquée pour mise à nu de ses mécanismes esthétiques et idéologiques. D’où le sous-titre de cette étude : Poét(h)ique des deux rives. M. Zeliche organise son questionnement autour de trois approches : psychanalytique, poétique/linguistique et politico-idéologique.

Dans la première partie, il choisit de remonter aux racines de l’écriture, en interrogeant les prises de positions de l’écrivain face à la société algérienne, prises de position fortement marquées par les clivages contemporains, Boudjedra se positionnant délibérément dans une logique binaire, du côté de la modernité face à la tradition vécue comme aliénante, ou bien du côté de l’écrit individuel face à une oralité anonyme. M. Zeliche montre la démarche de rupture identitaire de Boudjedra, qui fonde son identité publique sur l’obsession de la lutte contre l’oppression, et sa démarche d’écrivain sur une quête de justice. D’où une écriture de la violence, une esthétique de l’excès et de la contradiction suggérée dans l’étude par quelques exemples, mais essentiellement développée dans la deuxième partie, consacrée aux influences qui traversent les œuvres, et aux moyens artistiques mis en œuvre dans l’écriture.

Ce deuxième pan de l’étude recourt à l’intertexte célinien présent dans l’œuvre de Boudjedra, ainsi qu’aux échos des romans de Claude Simon et de Gabriel Garcia-Marquez, pour montrer comment Boudjedra s’approprie des formes à des fins idéologiques. L’analyse de la composante célinienne dans certains des romans de Boudjedra, notamment Le Démantèlement, est tout à fait symptomatique d’une écriture de la discordance, de la haine, où ‘’ discours et parole ne s’articulent pas‘’ et tordent la syntaxe, car ‘’ils visent à la discontinuité sur le fond comme sur la forme‘’ (p. 119). Quant à Claude Simon, il inspire le roman de Boudjedra, La Prise de Gibraltar, à travers les symboles utilisés (celui de l’arbre au premier chef, des couleurs et de la putrescence), mais aussi une écriture conçue comme continuum de la pensée, où description et action deviennent indissociables. On retrouve enfin chez Garcia-Marquez, dans le roman Les 1001 années de la nostalgie, pour son traitement des thèmes de la solitude, de la nostalgie et de la panne du temps.

Mais face à ces figures de référence, quelle identité de l’écriture ? Comment revenir à soi ? Le retour de Boudjedra par les mystiques arabes est une tentative pour libérer l’écriture de ses obsessions, en rétablissant un lien entre sources orientales et sources occidentales. Cependant, si la mystique soufie s’affranchit des dogmes, la subversion des signes opérée par Boudjedra reste de type idéologique. La dernière partie de l’ouvrage, plus proche de l’essai que du décryptage systématique, réfléchit sur le rapport de Boudjedra à sa société, à son histoire et à la langue d’écriture. M. Zeliche propose de lire le travail de Boudjedra comme une quête bipolaire condamnée à l’aporie, car ignorante du mouvement dialectique qui introduit un troisième terme.

Ce parcours de M. Zeliche dans l’œuvre de Boudjedra est riche d’une connaissance profonde de l’œuvre, mais aussi de l’univers mental dans lequel elle se construit, s’exprime et se fige. M. Zeliche sait avec une très grande justesse relever les contradictions d’une écriture excessive qui, voulant porter la subversion au cœur de sa société, se trouve parfois piégée dans de nouveaux systèmes d’allégeance.

Claire RIFFARD

Pour citer cet article :

Article publié par la revue Études Littéraires Africaines (Littérature berbère, dossier préparé par A. Bounfour et Salem Chaker, professeurs à l’Inalco, Centre de recherche berbère), n° 2006/21, pp. 85/86/87

Lire sur le même sujet :

Rachid Boudjedra, un auteur scandaleux ?, par Kasereka Kavwahirehi
Le commentaire de Max Vega-Ritter
Le commentaire de Eleonora Hotineanu, paru dans la revue Europe, avril 2006


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lundi 30 mars 2009

Récit sur l’indifférence au cœur d’une guerre annoncée

Jenan de Zehira Houfani Berfas

Récit sur l’indifférence au cœur d’une guerre annoncée














Article rédigé par Mohammed-Salah Zeliche
Paru dans le quotidien algérien La Nouvelle République Édition du 30 mars 2009


Jenan est le titre du livre de l’Algéro-canadienne, Zehira Houfani Berfas. Autant en général un tel mot renvoie aux jardins édéniques autant ici il évoque les désastres de la guerre. Car Jenan est une fillette de neuf ans et ses jours sont comptés. A travers elle, l’auteure nous confronte aux enfants victimes des bombes à uranium appauvri. Nous sommes en 2003, à Bagdad, introduits d’emblée dans une des ailes de l’hôpital Al-mansour.


La compassion tisse autour de Z. Houfani un piège implacable, au point où d’ailleurs elle conclut à la nullité de la bonté. Bien sûr, certains croient prodiguer l’espoir à ces petits innocents au moyen de petits riens… crayons de couleur, cahiers de dessin, pâte à modeler… Mais dans les heures qui vont suivre ou les semaines à venir, apprend-elle du personnel médical, la mort viendra sans ménagement emporter sourires, petits plaisirs et autres considérations de vie future. Dérisoires sont donc tous les gestes qu’elle voit exécuter au bord du gouffre… complaisantes et empressées ici toutes les marques de charité.


Dans un tel contexte de désolation, la conscience « de la souffrance […] et de la profondeur du drame » s’aiguise. A partir de là, tout va se jouer à l’intérieur de soi. Z. Houfani est marquée au même titre que ces mères « tassées aux coins des lits » de leurs rejetons – et, en effet, résignées, désabusées… Les mots du docteur Bensaâd, quant à la réalité des soulagements apportés par les humanitaires étrangers, peinent à faire sens. Le désastre est à ce point grand que le médecin paraît en effet recourir aux leurres du bonheur… un peu comme pour dissimuler son impuissance ou comme pour détourner l’attention. A tant voir les choses à travers le prisme du découragement, Z. Houfani en est venue à cette pensée : « Foutaise de bonheur qui […] prépare à la mort ». Il faut dire que pour autant elle n’entend pas démissionner moralement.


A l’issue de la visite aux malades, par Karen et Z. Houfani, Jenan refuse de rendre le cahier de coloriage. Mais si celle-ci est bien prête à le lui abandonner, Karen, sur le moment, juge impossible de lui en offrir un. La denrée est d’autant plus rare qu’elle impose l’habitude d’utiliser avec parcimonie les pages à colorier. Jenan s’obstine. Karen aussi. Z. Houfani, elle, s’enfonce dans un apitoiement sans limite : après tout, pense-t-elle, ce n’est là qu’un objet sans réelle valeur. Qui, sous d’autres cieux, lésinerait… jusqu’à en priver une enfant dont les jours sont comptés ? Où est, dans tout cela, le bonheur tant exalté par le docteur Bensaâd ? Non, cela, son entendement le récuse.


Dès le lendemain, toute affaire cessante, elle se met à la recherche de l’objet, somme toute très rare et très précieux. Dans les librairies de Bagdad, elles-mêmes désormais rares, elle mesure combien l’indigence et le désastre ont consterné l’être de ce pays – tant naguère prospère qu’autrefois resplendissant de culture. Ce n’est qu’après maints déplacements dans Bagdad qu’un libraire répond à sa sollicitation par un cahier défraîchi et cependant loin d’être bon marché. Qu’importe… il faut que Jenan retrouve un peu de joie. La vision est là persistante de ses larmes roulant sur ses joues. L’humanitaire entend sinon soulager sa conscience du moins, fût-ce symboliquement, réparer l’outrage fait à l’innocente.


Mais c’est compter sans Karen, dont certes l’humanisme n’est guère à démontrer, qui encore une fois considère l’initiative comme discriminative et propre à « briser l’harmonie » des rapports. Les deux femmes campent sur leurs positions – divergentes en réalité sur la forme, non sur le fond. Arrive alors un geste qui ressemble beaucoup à un dérapage et une perte de confiance : « Et si c’était Lizbeth, que ferais-tu ? », demande Z. Houfani. Entendre par Lizbeth la fille de Karen. Un immense malentendu s’interpose brutalement entre elles… avec sans doute le cortège de préconçus auxquels l’origine des guerres nous a habitués. Karen, piquée à vif, dérape à son tour, répondant sur un ton sec et tranchant : « Ce n’est pas Lizbeth ». Il y a, on le voit, des propos aux contours de couteaux…


Le lecteur mesure dès lors la cassure qui souvent lézarde d’un bout à l’autre le ciment de la solidarité humaine. D’une part, des enfants bien chanceux au sort lié à l’opulence. De l’autre, des enfants qu’assassinent les machinations, le mépris et le sans scrupule. Il suffit, alors, d’un mot pour que l'ignominieux réussisse à saper l’altérité et torpiller les garde-fous. Et, du reste, il s’en est peu fallu que la réplique de Karen ne sonne aux oreilles de Z. Houfani comme une caution aux monstres « qui ont décidé le martyre de Jenan ». N’y a-t-il pas là mortelle discrimination que tout être doit avoir à cœur de conjurer ? L’inconscient respectif des deux femmes, mine de rien, fait régresser les possibilités de compromis dans les terribles recoins de la suspicion et de l’égocentrisme. Mais, il n’empêche, le débat se hisse ainsi à l’échelle du monde, rappelant la part importante de responsabilité qui incombe à l’homme, Américain ou non, de préserver son prochain, de refuser la cruauté d’où qu’elle vienne. Du coup, la sinistre déclaration de Madeleine Albright, alors ambassadrice de Bill Clinton auprès de l’ONU, s’élève scandaleusement au-dessus de toutes les voix : lorsqu’on l’interroge sur les 500.000 enfants que l’embargo américain a coûté à l’Irak, elle répond : « […] nous pensons que ce prix en vaut la peine ». Z. Houfani procède ainsi par antithèse pour permettre maints rapprochements et notamment frapper l’esprit du lecteur.


Gardons-nous de toute méprise : Karen, Dory, Audrey et tant d’autres… misent leurs vies, donnent sans compter de leurs temps, dépensent forces et moyens pour porter l’espoir à l’autre bout du monde. Elles sont l’autre face de l’Amérique. Peut-être celle d’une Amérique impuissante… Mais, en tout cas, elles sont la face admirable, qui plus est généreuse et fraternelle. Leurs mots, leurs gestes, leurs œuvres… distillent la vie. Z. Houfani, en réalité, leur rend hommage, ainsi qu’à tous les membres d’Iraq Peace Team (IPT), de Voices in the Wilderness (VITW)… luttant courageusement pour la levée des sanctions onusiennes... bravant la barbarie aveugle. L’engagement et l’intégrité des fondateurs étant tels qu’ils se sont exposés maintes fois à des amendes, des peines de prison ou encore à passer pour des traîtres envers leur pays. Pour toutes ces considérations, les deux femmes ne tardent pas à remettre leurs pendules à l’heure, à revoir leurs positions. Elles se jettent l’une dans les bras de l’autre, demandant pardon. Reniant leurs suspicions... Karen, finalement, propose à Z. Houfani de retourner ensemble à l’hôpital pour offrir à Jenan le cahier en question. Elle s’en veut farouchement d’avoir pu traînasser dans le giron de l’indifférence.


L’auteure égrène, au fil des jours, sur un fond de débandade et d’hystérie d’avant guerre, les images d’un pays que la communauté internationale abandonne au cynisme et à l’arrogance. En effet, journalistes et représentations diplomatiques, pour ne citer qu’eux, quittent Bagdad sur de pressantes recommandations.


Dans les rues avoisinantes, il n’y avait guère que les petits cireurs de chaussures à la recherche de clients étrangers. La circulation s’était réduite au minimum. Les écoles avaient fermé […]. La consigne de guerre avait fait son œuvre et Bagdad, résignée, attendait son destin (p. 60).


Quand les deux femmes arrivent à l’hôpital Al-Mansour, quel n’a été leur choc d’apprendre que Jenan et tous les cancéreux avaient été renvoyés chez eux ! Désormais, l’imminence des bombardements ne recommande guère assez de parer au plus vite au débordement des situations d’urgence. Z. Houfani ne baisse pas les bras, pour autant. Elle décide de retrouver Jenan… par là, de poursuivre sa quête d’une justice intégrale.


Son livre se construit au fil d’une intrigue simple mais réaliste dont le moindre est de lancer à la recherche de l’autre. Il oriente donc humainement les regards, développant nombre de réflexions politiques et morales. En s’inscrivant à la jonction du roman et du reportage, l’auteure aura pu passer la réalité – immédiate et non immédiate – au crible de son analyse pertinente. Elle dénonce dans la dérision les faiseurs d’apocalypse dont on sait que les mensonges et les montages ont sacrifié des milliers d’enfants sur l’autel des intérêts malsains.


Le langage pratiqué plaide pour une mobilisation face à la déraison et pour faire triompher le droit international. Mais le livre se termine sur un épilogue qui n’est en fait qu’un bilan, venant s’imposer cinq ans après les saccages et les massacres, pour juger de l’efficacité ou non de ce mouvement de paix au sein duquel milita l’auteure. Celle-ci considère, sans ambages, que le message des pacifistes, pour impressionnantes qu’aient pu être leurs manifestations dans le monde, est demeuré lettre morte.


Comme chaque année, [dit-elle], à la fin de la journée, les manifestants rangeront leurs banderoles avec la souffrance des victimes et rentreront chez eux la conscience faussement soulagée, tandis que les Irakiens, comme les Afghans et les Palestiniens retourneront à leur enfer quotidien nourri de violence, de sang et de larmes sous la gouverne des États-unis d’Amérique (p. 141).


L’aberrance des aberrances est en fait non pas seulement de constater une banalisation de la violence et de la souffrance mais de juger celle-ci à l’aune d’une « indignation sélective ». Ici, Z. Houfani entend bien désigner le lieu de tout le désordre : au cœur de ce qui fait chavirer dans le gouffre, se trouve l’indifférence confortée par le racisme, le fascisme et la propagande médiatique. Elle cite à l’appui Dick Marty, président de la Commission des affaires juridiques et des droits de l’Homme au Conseil de l’Europe, lorsqu’il rappelle l’enquête mettant en cause la complicité d’États européens dans le programme « restitution » accordant à la C.I.A. d’enlever, séquestrer et remettre des musulmans aux spécialistes de la torture :


« Ce qui m’inquiète au fond, et qui m’a profondément choqué dans cette histoire, c’est l’indifférence. Combien de personnes m’ont dit : ‘’Pourquoi fais-tu tout cela, ce sont des terroristes ! Les Américains ont raison.’’ Et puis ils ajoutaient : ‘’Ce ne sont que des musulmans’’ » (p. 142)


Voilà un réflexe produit et reproduit à la faveur des représentations collectives que la souffrance humaine n’a de cesse d’incriminer depuis la nuit des temps. Ce qui peut arriver d’heureux à l’humanité est qu’un jour on puisse se rendre compte que la religion du profit donne longue vie à cette néfaste présence d’esprit. En attendant, le moindre est de reconnaître qu’aujourd’hui l’indifférence renforce son trône en aggravant ses crimes. C’est du reste ce qu’entend enseigner au lecteur Z. Houfani, d’un bout à l’autre de son texte.


Article rédigé par

Mohammed-Salah Zeliche


Zehira Houfani Berfas, Jenan la condamnée d’Al-Mansour, 155 pages, Montréal (Québec), Lux Éditeur, 2008, ISBN 978-2-89596-067-6

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jeudi 29 mai 2008

Sansal : le retour...

A mes correspondants et amis :
Mes deux messageries
zeliche@yahoo.fr et zeliche@hotmail.com
sont tombées entre les mains d'un hacker.
Faites bien attention si on vous contacte par leurs biais.
Utilisez cette adresse pour me joindre : mos.zeli2007@gmail.com
Cordialement.
Mohamed-Salah



Cet article a trait à l'actualité et à l'usage qui en est fait. L'orientation de l'opinion est une pratique courante dans le monde des médias. Et l'Algérie ne déroge pas à cette règle. Bien au contraire... Le lecteur trouvera ci-après quelque chose comme un arrêt sur l'image. Un court instant saisi dans lequel la société algérienne - par certains de ses aspects - exprime son désir d'émancipation.


Cet article, je l'ai voulu exprès à la fois austère et débonnaire. Caustique et conciliant...


Sansal : le retour...


Rédigé par :
Mohammed-Salah Zeliche
Paru dans
le quotidien algérien d'information
LA NOUVELLE République.
Le 03 juin 2008


Le sujet « Sansal » ne cessera pas de revenir sur le tapis, tant il a de rapports avec l’Algérie et ses démons. Avec ‘’nous-mêmes’’ et avec les ‘’autres’’. Avec nos vérités et avec nos mensonges. Avec nos délires et nos unanimismes. Mais aussi avec nos petitesses évidentes. Avec notre prétention à la pureté et sans doute avec nos complaisances. Avec nos copinages et nos intransigeances. Avec notre atavique tribalisme et notre volonté de nous en détacher…avec tout ce que cela comporte d’enjeux.


Mais il y a quelque chose qui ne rentre dans aucune de ces considérations : la critique. Encore faut-il se demander : quelle critique et selon quelle école ? Je veux dire la critique argumentée qui essaie de comprendre et de faire comprendre. Peu importe qu’elle soit indignée ou gagnée à l’opinion du journaliste, du romancier ou de quiconque d’autres. L’essentiel est qu’elle sorte de la phraséologie filandreuse et qu’elle serve un souci de vérité. Or cette vérité, on peut la décanter d’une manière ou d’une autre – de façon textuelle, historique, politique, psychanalytique, sociologique…


Hélas, même des intellectuels – se disant ouverts, tolérants, universalistes, humanistes, plus éveillés que le reste du monde… – considèrent la critique comme un sacrilège, un lynchage, une pratique assassine. Laissez-moi débiter tranquillement mes âneries. Sinon je dirais que vous êtes mauvaise langue. Ou jaloux…si je me réfère à un article consacré à Sansal, paru dans Algérie News. Attention : quand on s’indigne de la sorte c’est pour appeler la foudre et l’apocalypse toutes réunies. Ainsi Sansal est-il pour beaucoup lynché par les siens ! Ou par les chiens ! Kif-kif. Allons donc ! Qui dit mieux ? Il n’en est rien : les positions et les idées récusées par certains de ses disciples n’appartiennent pas à l’opinion avouée. Elles constituent l’essentiel de leurs non-dits. C’est à la rigueur tendre la perche à un ami qui se noie. Khouk khouk lâ ighayyarak sâhbak. Sinon : Annsaar Akhâka dhzâliman aw madhzloumann. Ces logiques vivent encore en ‘’nous’’. Elles ne supportent guère la critique. Mais elles trouvent des voies de recours dans le verbiage. Par exemple : «Boualem Sansal a le courage de dire ouvertement ce que beaucoup pensent depuis longtemps sans le dire».


Le cas « Sansal » est clair comme l’eau de roche. Cet auteur s’est tout simplement laissé prendre dans l’engrenage d’un système que les Algériens connaissent pour avoir eu à pâtir de ses perfidies. Et ce système n’a pas pu ne pas réveiller les démons de l’Algérie dont le cours de l’histoire est jonché d’atrocités, de massacres, de tortures, de misères, de maladies, de spoliations, d’enfumades… Que n’a-t-elle pas en ressources thématiques cette terre authentique, l’Algérie, qu’elle ne puisse inspirer à la plume d’un Sansal ? Que n’a-t-elle pas qu’elle n’ait été capable de prodiguer à des grands comme Dib, Kateb Yacine, Boudjedra, Assia Djebar, Djaout ou Ouattar… ?


Bref, Sansal a suivi la voie qui lui semblait – matériellement, oui, disons-le – la plus intéressante. Aux dépens d’un bon sens commun/communautaire. C’est tout son droit. Mais aux dépens de cette ‘’pureté’’ qui fait qu’un écrivain se distingue généralement de la masse du peuple ou de ses lecteurs. Eh, oui… Dans l’imaginaire de beaucoup l’écrivain est celui qui est franchement inspiré. Comme qui dirait un prophète (Astaghfirou-llah !). Désolé, les choses sont ainsi faites. On ne change pas le monde en un jour. Alors que Dieu a mis six bonnes journées pour le créer. Qu’il est grand, en fait, le désordre apporté à la bonne conscience par un sujet fait de bric et de broc. Qui chantait la Shoah. Et chantait faux. Et, de ce fait, paraît-il, ces lecteurs algériens n’ont pas été à la hauteur de son talent. Voire de son génie. Sansal n’a pas les lecteurs qu’il méritait, disent sans cesse ses amis du NouvelObs. De fait, il n’a pas été suivi sur cette pente scabreuse. Hormis ceux dont les « constantes » (arabité, islamité…) exacerbent outre mesure et que Poste restante : Alger a fustigées pour le bonheur d’une ‘’haute idée’’ de l’Algérie française. Que Sansal, en fin de compte, n’ait pas trouvé de bons lecteurs chez les Algériens ne signifie rien d’autre qu’une allégation puant le racisme et le mépris de l’autre.


Vous êtes antisémites, dit Sansal aux Algériens. La guerre d’indépendance n’a pas seulement donné l’occasion à des « tyranneaux » de prendre le pouvoir. Elle est selon lui tout bonnement illégitime. Sansal n’a rien dit de tel ? Que fait donc un nazi dans les rangs de l’ALN ? Et ses interviews venues après-coup l’expliciter, comme s’il n’avait pas pu tout dire dans son roman. Ou qu’il craignait de n’être pas assez compris par ses amis outre méditerranée. Il est intéressant, toujours est-il, de savoir que ce refrain coïncide de façon formidable avec la campagne récente de dénigrement consistant à faire croire que les Algériens sont racistes vis-à-vis des Juifs (« Ihoudi hachak »). Et, tenez-vous bien, non l’inverse. Le film de Jean-Pierre Lledo Algérie : histoires à ne pas dire s’inscrit dans cette mouvance et cette spirale de conspiration culturelle. Les Algériens sont de toutes les intolérances ! Ne vous gênez pas, empilez : ils ont le dos large.


Il suffit de creuser un minimum pour constater que derrière tout cela il y a l’amertume personnelle des gens. Il y a des prétextes comme des lieux que l’on pourrait nommer défouloirs ou dégueuloirs… Il y a des règlements de compte… qui entrent en ligne de compte. Il y a les intérêts et les luttes de clans…Cela, à un moment où le pouvoir algérien donne tout l’air de s’enliser – pour longtemps – ou pour toujours – dans des incohérences. D’une part, la loi amnistiante incapable de juguler la violence terroriste. De l’autre, les émeutes, la mal vie, l’émancipation contrecarrée…tout cela qui justifie la devise : tous les coups sont permis. C’est dire si tout le monde ne doit pas mettre en avant sa vérité et revendiquer sa part de génie et de bonheur.


La danse alors s’emballe. Frénésie. Désordre. Et obscurcissement de la vision. Moment opportun. Prestidigitateurs et adversaires d’antan entrent alors en scène ou en danse. Mettent du leur. Chauffent les tambours. Distribuent les trompettes. C’est à qui claironne plus fort ! Sansal est de la partie. Il est celui qui peut peut-être le mieux convaincre que l’islamisme et le FLN sont les deux faces d’une même pièce. Un poncif tenue en vie par un certain Occident. Kif kif... l'amalgame. L’absence de discernement et l’emporte-pièce sont élevées jusqu’au modèle. Et jusqu’à l’indiscutable. Vive le roi.


Après le prosélytisme islamiste qui mit le feu à tous les foyers, voici le prosélytisme protestant. Bonjour notre intolérance. Et bonjour notre mise à l’index (moralement, il va sans dire) par le monde bien-pensant. Le cas « Habiba » : une preuve que nous sommes infréquentables. Cependant que l’Algérie compte 60.000 chrétiens pratiquants – accomplissant leur foi sans être inquiétés. Des centaines et des centaines d’articles sont consacrés à cette femme transformée par les préjugés occidentaux en martyre de la foi.


Cela, alors que la justice n’a pas tranché. Et alors que le juge n’a pas encore ouvert la bouche. On ‘’nous’’ juge…avec préméditation.


Surfer sur la toile m’a permis de voir que cette affaire est au fond bien crasseuse. Elle est en rapport évident avec les passions de l’homme et les sentiments primaires. Avec les ruptures identitaires entretenues et aggravées depuis des siècles. Quand des médias mettent en avant des détails de l’enquête d’autres les méprise et les occulte – carrément. Dans le meilleur des cas, la dizaine de bibles trouvée chez Habiba n’est pas mentionnée. Des déclarations indignes mais pratiquement invérifiables sont prêtées à ses procureurs. La manipulation est à l’œuvre. On donne libre cours à l’extrapolation. L’inconscient collectif se déchaîne sans délai et au plus vite. Armada ! Charles Quint lance sa flotte – malchanceuse. Mohamed Benchicou du Matin Dz, lui, lance une escouade d’articles.


Bouteflika derrière l’inquisition et la lutte contre l’évangélisation. Cet article est accompagné de l’effigie du président de la république et de son premier ministre. Il l’est aussi pour ceux de Malek Chebel et de Boualem Sansal. Voir par conséquent dans cette esthétique une généralisation. Et autant une radicalisation de l’opinion que son orientation. Les présidentielles se profilent à l’horizon politique. L’idée d’un troisième mandat offert par ses pairs à Bouteflika par l'entremise d'un « viol de la constitution » fait craindre le pire. Mobilise des énergies et des stratégies pour lui barrer la route. Le journalisme algérien (pour indépendant qu’il prétende être) y est ainsi impliqué. Financé sans conteste par des sphères privées. Du moins par des sphères occultes et influentes du pouvoir lui-même. Le Matin Dz : un électron libre. N’en croyez rien. Considérez bien la place allouée au terme « inquisition » et son appartenance stricte au paysage occidental. Car le message veut plaire. Et il a un destinataire. Quant à « évangélisation », il est mis pour neutraliser celui de « prosélytisme » – loin d’être aussi incriminant. Comprendre : le procès de Habiba n’a pas lieu d’être. Donc : ni raïs ni Etat. Ni juges ni policiers.


Malek Chebel : ‘’L’Islam n’est pas responsable de l’usage qui en est fait. On n’imagine jamais assez les efforts investis par ‘’notre’’ Chebel pour ‘’nous’’ prêter une meilleure image en Occident – pour nous rendre fréquentables. Il lime, rogne, équarrit, emboutit, rectifie, polit, perfore certains mythes, arrange leurs contours…Il en fait trop, notre mécanicien. Mais il en profite…aussi. Là, Benchicou sous-entend que si l’Islam est tolérant c’est en son nom qu’on tyrannise cette pauvre chrétienne de Habiba. Les musulmans sont des tyrans ! Ils sont tous islamistes. Bouteflika et Belkhadem – en tout cas . Voilà une façon de dire implicite et indirecte. Le sens est déplacé par glissement imperceptible. Et par superpositions insinuées. Au total, il suffit de mettre à la une, opportunément, cet article. Lequel d’ailleurs n’est pas actuel et qui, a fortiori, a déjà paru sur le site du Matin Dz.


Algérie – Affaire Habiba : La France qualifie le procès de ‘’choquant’’. La France ici signifie : Droits de l’homme à la Rama Yade. Et l’article lui est consacré. Encore une fois l’Occident se présente en donneur de leçons. Benchicou lui ouvre une tribune. Etrange : un gouvernement de droite française qui bafoue tous les droits de l’homme trouve à s’apitoyer sur le sort d’une Algérienne. La sympathique Rama Yade sait-elle au moins qu’elle fait partie du lot des ministres à juste titre qualifiés d’alibis. Cache-sexe du mépris et du saccage. Or Benchicou nous invite à venir paître dans son râtelier qu’il nous présente comme étant celui de la tolérance. Chez lui, le cap du énième millier de visiteurs est dépassé. Autant y aller. Consommer politique… Les idées et les valeurs… ça s’importe ! Et ça tue… quand ça pue et que c’est avarié.


Algérie : Tollé autour de Habiba la chrétienne persécutée. Benchicou enfonce le clou. Habiba est persécutée. Il en est catégorique. Mais son information est puisée chez ses confrères algériens – en tout cas tronquée des éléments d’enquête susceptibles de donner une vision nette, d’amener à faire la part des choses, d’inviter à plus de circonspection, d’éviter de tirer des conclusions hâtives… Au lieu de cela : des appels quasi ‘’insurrectionnelles’’. Le moindre en fait est que cela suscite la hargne, pousse au chaos – au prétexte de parer au désordre. Pardon, Habiba, si je te contrarie. Et si je t’offense. Nous sommes tous des justiciables. J’aurais été juge, je vous acquitterais. Attends, pas à si bon compte. Prison avec sursis. Je te ferais remarquer – si tu ne le savais pas – et que tu n’en étais pas consciente – qu’il y a une loi qui interdit le prosélytisme. L’Etat pour le bonheur de tous entend la faire respecter. La prochaine fois... la prison ferme.


Boualem Sansal : ‘’Nous vivons sous un régime national-islamiste’’. Boualem revient. Pas seulement en arrière. Ni pour rien. Chez Benchicou, il reprend place à la une. Pensez-vous, si on peut mieux que Benchicou orienter l'opinion. Boualem : une autorité intellectuelle. Même si ses propos sont recyclés, à l'envi. Et son esprit formaté, outre méditerranée. Au final : coups d'épée dans l'eau. Que ça ! L'homme rase les murs en Algérie – son pays qu'il déteste, qui le déteste. Le parallèle islamisme/nazisme, qui en croit vraiment aujourd’hui pour lui tendre l’oreille. Thèse invalide. Ça marche encore chez ‘’nous’’. J'en conviens. Et ça arrange pas mal de monde.


Qu'importe. Monsieur Benchicou opère par identification : aujourd'hui, il prend à cœur l'affaire "Habiba". Humanisme oblige. Peut-être. Mais il veut surtout lui donner une résonance politique et idéologique. Par quel moyen ? Par une vision du monde à la Rama Yade. Ça sent le Sarkozisme …et sans conteste le mépris qu’a l’Occident vis-à-vis de ‘’nous’’. A quel prix ? Cher… trop cher… Je vous le dis : il fait le jeu de certains. Il apprête les consciences à recevoir ‘’le saint sacrement’’. L'essentiel étant pour lui d'avoir raison sur Bouteflika et son pouvoir.


Donc : alignons si vous le voulez bien ces noms et faisons le compte : Benchicou + Sansal + Chebel + Habiba VS Bouteflika et consorts. Très simple ! Opportun veut dire opportunité si ce n'est opportunisme – certains jours. J'oubliais : la grande contradiction ! Monsieur Benchicou, dans un article paru sur Le Matin Dz, donc chez lui-même, a fustigé le Sansal du "Village de l'Allemand" – au même titre que le Marek Halter de tous les partis pris, qu'il dit regretter d'avoir lu. C’était quand il annonça à ses lecteurs qu’il n’irait pas au Salon du livre de Paris. Evident : il n’avait pas le front d’airain de Sansal. Ou peut-être : il n’avait pas de chèque à empocher.


Pas grave : sa colère est maintenant passée… On peut lui pardonner. Aujourd’hui, l’heure est aux règlements de compte. Aussi peut-être faudrait-il aujourd’hui, plus que jamais, régler les pendules à l'heure de Sansal, du Nouvel Obs, de La Croix, de Jésus, de Rama Yade… plutôt qu'à l'heure de Mahomet qu'on mêle à tous les intégrismes et tous les totalitarismes. Qu’on mêle à toutes les intolérances en s’en défendant de faire rien de tel. C’est à se demander quel Algérien n’a pas – peu ou prou – les pieds dans la fange. Puisque notre athéisme, notre laïcité, notre ouverture d'esprit, notre vision de démocrates, sont eux aussi pour le moins entachés d’intolérance. De machiavélisme. La demi-mesure, nos démocrates autoproclamés la connaissent-ils ? Je me demande... Je n'affirme rien. Mais je vois souvent les extrêmes se toucher.


Que l’on soit de la trempe de Sansal ou de Ali Belhadj …la rage. Et la table rase !


Rédigé par

Mohammed-Salah Zeliche

Pour citer cet article :

M.-S. Zeliche, "Sansal : le retour...",
http://sentiers-sentiers.blogspot.com/


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jeudi 13 mars 2008

Littérature et citoyenneté

Rédacteur Agoravox

Littérature et citoyenneté. Le boycott du Salon du Livre en question

La question « l’écrivain et l’éditeur doivent-ils boycotter la version 2008 du salon du livre de Paris ? » entraîne d’office d’autres questions. Telles que, par exemple : tant l’un que l’autre sont-ils tenus d’être les militants d’une cause ? En quoi cet évènement choque-t-il des intellectuels en général, des Maghrébins et des Libanais en particulier ? Boycotter, n’est-ce pas un geste en soi anti-culturel ? N’est-ce pas là le fait d’un inconscient plutôt antisémite ?


Ces questions, dans le contexte actuel, on ne peut ne pas les formuler. Elles suggèrent l’existence d’un certain nombre de non-dits, de compromissions, d’intérêts ou d’enjeux que la culture et ses institutions véhiculent et dédouanent. Les clarifier, ces non-dits, équivaut à situer les réflexes anticolonialistes - du reste ceux des Algériens - aujourd’hui acculés à battre en retraite, sommés de faire des concessions. Non pas que les réflexes anticolonialistes soient les seuls capables d’identifier les atermoiements qui accompagnent cet évènement mais parce que celui-ci offre à leurs yeux des contours puissamment évocateurs.

Les Algériens, on en convient, sont ceux des peuples qui ont été les plus marqués par les atrocités de la guerre, par l’injustice sous toutes ses formes... Aussi, leur conscience historique est-elle incontestablement des plus alertes. Certes cela pourrait prêter à des présuppositions fort susceptibles de colorer subjectivement leurs façons de voir et de juger actuelles. Certes cela risque même de les condamner à une vision archaïque et rigide des choses, eussent-ils été capables de distinguer entre le bon grain et l’ivraie. Ou même de les engoncer à jamais dans des formules alibi, cérémoniales, vidées de vie et insincères. Le pouvoir algérien et, d’ailleurs à peu de choses près, tous les partis politiques trouvent dans la lutte d’indépendance le site précieux indépassable de leurs revendications identitaires pour embringuer leur monde et camoufler leur terrible désordre.

D’aucuns pourtant, en Algérie, sont prêts à brader leur dignité d’hommes ou de femmes, à adopter les pires positionnements, ne serait-ce que pour rappeler à la caste dominant le pays que son temps est bien révolu et ses jours davantage comptés. Ne serait-ce encore que pour rentrer dans le moule apprêté pour eux par la démagogie et les faiseurs de mirages. Or l’histoire, d’une façon ou d’une autre, rapplique, opère des retours époustouflants, persiste et signe... et invite, par voie de conséquence, à plus d’élévation. En d’autres termes : lors même que les Algériens essuient revers, mutilations, frustrations, dénis... de la part des nouveaux maîtres, faut-il pour autant faire table rase de ce patrimoine - moral après tout ?

De là le soutien des Maghrébins apporté de façon indéfectible à la cause palestinienne ; lequel soutien n’est pas que de nature communautaire - comme essayent de le faire admettre BHL, Finkielkraut... et consorts, soit les inconditionnels défenseurs de l’Etat hébreux. S’il n’avait été que communautaire, alors sans doute les Maghrébins auraient eu tort et ressembleraient même à ces derniers. Or leur langage est d’autant plus crédible que légitime : s’inscrivant dans un cadre moral/humain/universel et découlant d’une conscience historique qui ne s’en laisse pas conter.

Dire, comme certains, que l’Algérie n’a rien fait en matière de tolérance et d’acceptation de l’Autre, lors même que cela serait vrai par certains aspects, revient dans maints cas à lui (l’Algérie) reprocher son intransigeance, sa soif de justice allant crescendo. C’est pécher par manque de relativisme culturel et trouver aberrant que l’on puisse dénoncer avec tant de conscience clairvoyante la souffrance des Palestiniens. Cette posture des peuples maghrébins tranche de fait avec l’ensemble du décor planétaire, dans la mesure où ceux-ci sont visiblement coincés entre la cruauté de l’Etat d’Israël, le silence complice de la communauté internationale et la lâcheté évidente des pays arabes. Après ce qui lui est arrivé de redoutable et désastreux en cette décennie 1990, l’Algérie finalement s’avère encore capable d’étonner outre-Méditerranée. Outre-Méditerranée où d’une part, on permet de tuer un peuple ; et où de l’autre, on honore son meurtrier, allant jusqu’à octroyer à celui-ci une tribune inespérée.

Voilà dans quel cadre se pose pour des écrivains algériens la question de la séparation de l’art et du politique, du citoyen et de l’écrivain... Il faut, décidément, bien moins que cela pour ne pas déclencher l’étonnement général.

D’invoquer la séparation de l’art et du politique apporte la preuve d’une conscience compromise. C’est en fait sacrifier à la politique et n’avoir que peu d’égard pour le premier. En effet, si l’art est par nature indépendant, il l’est autant vis-à-vis de la société que vis-à-vis du créateur lui-même. Autant dire illico qu’il est au-dessus des petitesses et ne saurait cautionner nulle dérive. S’en revendiquer à la manière de ceux et celles qui entendent aller à cette version du Salon du livre de Paris - au prétexte qu’il faudrait séparer - revient à se ranger à un credo institué, jadis ou naguère peu importe, pour décontenancer l’intellectuel engagé. Souvenons-nous, à ce titre, de Sartre, Mauriac, Breton, Aragon, Germaine Tillon... dont la parole défie tous les liens - à part celui de la fraternité humaine. Egalement la trilogie Algérie de Mohammed Dib (La Grande maison, L’Incendie et Le Métier à tisser) considérée par la critique non pas seulement comme une œuvre de combat mais essentiellement comme une œuvre humaniste transcendant l’identité étriquée et le nationalisme. Bref, dans ces quelques noms inséparables d’une cause juste, il faut savoir reconnaître tout aussi bien l’homme que le citoyen, l’écrivain ou l’intellectuel.

Choisir le camp de la neutralité est en soi un parti pris ; comme tel, dommageable. Le moindre que l’on puisse reprocher à cette attitude est qu’elle renonce à ses principes pour se laisser inféoder à une idéologie du silence et du mensonge. Car, sinon, pourquoi s’infliger ce clivage pour le moins en désaccord avec l’humanisme et la morale - si ce n’est en désaccord avec une harmonie de soi vers quoi tend toute œuvre littéraire digne de ce nom ? Et, en effet, en désaccord avec cette quête de soi sincère, loyale et altruiste distinguant entre celles des œuvres immortelles et celles des œuvres périssables.

Est-il nécessaire de préciser que ce qui est boycotté n’est pas le peuple juif, ni d’ailleurs les écrivains israéliens en tant que tels ? La manipulation à laquelle le monde assiste, à laquelle il s’habitue et s’abandonne par la force des choses, ne peut qu’inciter ceux dont la conscience n’a pas encore été lobotomisée à lui dire : « Assez ! » Du moins à dénoncer ses sinistres et perfides ressorts. Cette manipulation est celle-là même qui fait dérouler le tapis rouge devant des Etats génocidaires. Boycotter ne signifie guère une implication idéologique de la part des éditeurs et écrivains mais exprime bien au contraire un refus d’implication idéologique confortant la cruauté et lui donnant tous les droits. Nul besoin de le rappeler aux esprits. Nul besoin de poser cette question : « Si les éditeurs et écrivains ne le faisaient pas, qui d’autres le feraient ? » La question est morale, beaucoup plus individuelle et de conscience qu’elle n’est politique ou stratégique.

Y aurait-il une littérature qui ne soit, au moins par défaut, la configuration d’un monde idéal où triomphent la justice, la paix, l’harmonie... ? Toute littérature célèbre ce monde à part où la brutalité n’a guère de place et de droit. Dans la célébration du soixantième anniversaire de la création de l’Etat d’Israël et le caractère forcément pervers de cette invitation, il faut trouver un affront et une violence à l’encontre de la culture elle-même. Sous peine de banaliser l’horreur, il faut garder le réflexe naturel de s’étonner. S’étonner des écrivains qui s’accommodent de l’inhumain mais s’offusquer aussi d’une littérature qui tend à être un simple gadget pour endormir les esprits, les châtrer, les exciser...

Littérature sans conscience. Conscience sans littérature. Quelle posture ? Une telle question suggère l’existence d’un paradoxe qui n’est au fond rien d’autre qu’une façon de fausser compagnie aux valeurs morales les plus fondamentales. Plutôt : fuite, abandon, démission, déloyauté... Littérature et conscience : voilà en fait d’éternelles inséparables. Tandem agissant pour le compte d’une idée de l’homme suprêmement élevée. Si écrire est d’emblée agir pour soi-même, écrire c’est encore doublement agir - sur soi-même et sur le monde. Pour cela, je crois, rien ne vaut mieux qu’une bonne dose de bonne conscience.

Finalement, aller à ce Salon engage et le citoyen et l’écrivain. Pour une simple et bonne raison : l’un ne va jamais sans l’autre. A moins qu’on ne donne dans la schizophrénie, l’amnésie ou qu’on ne vive ailleurs que sur Terre. Dans ce cas...


Par
Mohamed-Salah Zeliche

Pour citer cet article :
Mohamed-Salah Zeliche, "Littérature et citoyenneté", http://sentiers-sentiers.blogspot.com/

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dimanche 16 décembre 2007

Mohammed Dib






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PROCHAINNEMENT
Une analyse de La Grande maison (1952) de
Mohammed Dib


– Un peu de ce que tu manges !
Omar se planta devant Rachid Berri.
Il n’était pas le seul ; un faisceau de mains tendues s’était formé et chacune quémandait sa part. Rachid détacha un petit bout de pain qu’il déposa dans la paume la plus proche.
– Et moi ! Et moi !
Tels sont les premiers mots du volet un de la trilogie Algérie. Nous sommes en 1939, à Tlemcen, dans la cour d’une école. Des mains se tendent vers un bout de pain. La misère crève le milieu du tableau. Un geste d'enfants faméliques qui en dit long. Laquelle ou lequel, de l’imploration et du harcèlement, le caractérise ? Les deux, à n’en pas douter. Il convient de voir là une attitude ambivalente de l’Algérien à certains de ses moments les moins cléments, voire ses tiraillements et sa relégation dans l’insupportable. Mais il faut voir également le prélude d'un monde dont Dib, tout au long de son récit, va sauver une à une de l’oubli les facettes atroces et tranchantes.

A bientôt pour la suite...
Le 12 déc. 2007
Par
Mohamed-Salah Zeliche

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Assia Djebar

ASSIA DJEBAR. ECRIVAIN ET ACADEMICIENNE







Son dernier roman








  • Assia Djebar. Son passage le 15-12-2007 dans l'émission Thé ou café sur France 2 : voir la vidéo. Suivre le lien...

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